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Mathieu Yon, le maraîcher philosophe

Un article rédigé par Jeanne d'Anglejan - RCF, le 12 avril 2023 - Modifié le 16 avril 2023
VisagesMathieu Yon, le maraîcher philosophe

C’est une longue quête humaine et spirituelle qui a conduit Mathieu Yon à exercer le métier de paysan. De l’hindouisme au christianisme, de l'Inde à la Drôme, ce maraîcher en bio et en circuit court est philosophe de formation, spécialiste de Simone Weil. 

Mathieu Yon invite à joindre les forces paysannes pour anticiper au mieux l'agriculture de demain. ©DRMathieu Yon invite à joindre les forces paysannes pour anticiper au mieux l'agriculture de demain. ©DR

Mathieu Yon semble appliquer quotidiennement le précepte ora et labora (prier et travailler) qui anime les moines bénédictins. Il n’est pourtant pas moine : marié et père de deux enfants, il travaille de ses mains pour produire des fruits et légumes biologiques. Quand il ne cultive pas ses fruits et ses légumes, Mathieu Yon lit, écrit, pense. Son travail spirituel est influencé par la Bible, par la philosophe Simone Weil ou par ses séjours en Inde. Le parcours et les raisons qui l’ont mené jusque-là, il les raconte dans "Notre lien quotidien" (éd. Nouvelle Cité).

 

 

On a perdu le goût de l’effort physique, alors que c’est précisément cela qui permet d’entrer dans le réel

 

 

Relier labeur et spiritualité

 

"Si je suis devenu paysan, c’est sans doute par fidélité à mon enfance." Mathieu Yon a grandi dans campagne drômoise. Pour lui, être paysan, c’est retrouver la terre. C’est, aussi, "s’éloigner de la frénésie du monde" et retrouver un lien essentiel avec la terre. "Il est urgent de joindre notre spiritualité et nos moyens de subsistance." Le drômois estime que la spiritualité du travail est aujourd’hui un enjeu majeur. Relier labeur et spiritualité semble être une solution pour "construire une société juste et équitable, en paix avec l’environnement". Sans ça, "l’effort est vain". "On a perdu le goût de l’effort physique, alors que c’est précisément cela qui permet d’entrer dans le réel." Pour lui, il faut être à la fois "moine, travailleur, et lutteur".

 

Ce qui donne de la joie à Mathieu Yon, entre autres choses, c’est que "rien n’est joué". Il se réjouit de l’imprévisible. D'autant que "quelque chose est en train de se passer. Quelque chose qui n'a pas encore de nom mais qui va porter des fruits"... Les jeunes "déserteurs" qui quittent les grandes écoles avec l’envie de s’éloigner du monde capitaliste, "qui nous détruit nous en plus de détruire la terre", prouvent, selon le maraîcher, que l’on peut "être au monde tout en s’en retirant".

 

 

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Une lutte pour sauver le monde paysan

 

​​​​​​"Mon engagement social et le travail que je fais de mes mains vont ensemble." Depuis la Drôme, Mathieu Yon mène une lutte éminemment politique pour "faire vivre le monde paysan" et "le faire exister dans la société civile". Convaincu que "les fermes sont vouées à disparaître", il est engagé au sein de la Confédération paysanne, mais Mathieu Yon milite pour une convergence des luttes dans le monde agricole. "Les mondes paysan et agricole doivent prendre conscience que l’on est tous en train de perdre. Il faut s’allier", estime-t-il. Il invite à mettre de côté les désaccords. Par exemple, pour lui, opposer les néo ruraux aux paysans est "un piège politique". Certes, ils sont mus par des intérêts différents, mais "coller des étiquettes et caricaturer détruit le débat". En avril 2022, il a lancé avec son frère Pierre, éleveur ovin dans le Vercors, une pétition en ligne: "Combien de temps les agriculteurs vont-ils tenir face au libre-échange ?" Leur objectif : "faire de la cause agricole une cause nationale". Pour lui il y a urgence, "la société tire les prix vers le bas" et "ne regarde pas la faiblesse" des revenus des agriculteurs.

 

La quête spirituelle de Mathieu Yon

 

Pendant dix ans, dès l'âge de 20 ans, Mathieu Yon s'est rendu chaque année en Inde. "Quand on arrive là-bas, on prend une claque." Pour le maraîcher, l’Inde est une "terre promise spirituelle", un pays où "le sacré déborde de partout". Il y a expérimenté le dépouillement, découvert la méditation et la spiritualité hindoue dans les différents ashrams du pays.

 

C'est grâce à l'ermite Frère Antoine que Mathieu Yon a découvert l'Inde. Installé pendant cinquante ans dans la grotte du Rocher de Roquebrune-sur-Argens, Frère Antoine avait 80 ans et Mathieu Yon 21 quand il a fait sa connaissance , "une des rencontres les plus importantes de [sa] vie". Le moine est devenu un modèle pour le jeune homme, élevé par des parents soixante-huitards dans le rejet de la tradition catholique. Au contact de Frère Antoine, Mathieu Yon a rencontré Dieu et, petit à petit, son désir de devenir chrétien s’est affirmé. "Ça m’est apparu comme une évidence dans ma rencontre avec Frère Antoine : il y avait trop de signes insolites qui échappaient à ma volonté." Mathieu Yon a demandé le baptême et a cru un temps devenir ermite à son tour. Pendant quatre mois, alors âgé de 22 ans, il a expérimenté cette vie de solitude et de prière avant de se rendre compte qu'il préférait être en lien avec le monde extérieur.

 

 

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Aujourd'hui Mathieu Yon est chrétien mais aussi "pétri de toutes ces spiritualités". "Mon chemin, c’est de composer avec tout ça", confie-t-il. Avant de citer Nietzsche : "Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter des étoiles." Mathieu Yon se réjouit de ce "joyeux désordre" qui l'habite. Pour lui, il n’y a pas de contradiction entre la spiritualité indienne et la vie de Jésus. "C’est peut-être mon côté rebelle de ne pas vouloir coller à une case", sourit-il.

 

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