Nous donnons la parole au père Franck Guérin dans cet article à l'occasion de la messe de la création :
- interview à propos du défi climatique,
- homélie donnée les 7/8 octobre 2023 à Bar-le-Duc
Dimanche 8 octobre 2023, homélie pour la messe de la Création.
Le propre de l’Homme est de réfléchir, de s’étonner de ce qu’il voit, du monde et de lui-même, de s’interroger sur son origine. Faute de disposer des connaissances scientifiques auxquelles nous avons accès aujourd’hui, nos lointains ancêtres, êtres tout aussi rationnels que nous le sommes, ont trouvé les réponses apaisantes qu’ils recherchaient dans de grands mythes fondateurs. La théorie de l’évolution du vivant avancée par Darwin au 19ème siècle et à laquelle le jésuite et paléontologue Teilhard de Chardin avait pleinement adhéré en son temps, au grand dam de Rome, comme celle du Big Bang ont définitivement mis un terme à une lecture littérale et historicisante de la Genèse qui avait fait d’Adam et Eve nos premiers parents. Reste que ce récit nous dit aujourd’hui encore beaucoup de choses sur l’Homme.
Il pose tout d’abord le principe de l’Unicité du genre humain et ceci quelque 2000 ans avant la Déclaration des droits de l’homme ! Il y a l’homme, un point c’est tout, quel que soit la couleur de sa peau ! En créant l’homme, Dieu lui-même se dépossède de sa toute-puissance. Il place alors l’homme au milieu de son œuvre, presque au sommet de la Création ! Il va même jusqu’à lui confier le soin de nommer lui-même les animaux ! Dieu fait ainsi de l’homme l’autre acteur majeur de la Création qu’il est sur le point de lui confier pour qu’il la « GARDE » et… l’entretienne à la manière du bon intendant de l’Evangile !
Où en sommes-nous à ce propos… aujourd’hui en 2023 ? L’intendant du domaine s’est sans doute un peu trop pris pour Dieu lui-même et avec le temps, il s’est même transformé en prédateur, comme vient de nous le rappeler le pape François.
Nous n’avons pas entendu dans ce récit de la Création que Dieu a créé l’Homme à son image. Cette affirmation de la Bible est située quelques versets plus haut, au chapitre 1er de la Genèse où il est écrit que « Dieu créa l’Homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa ». Il y a donc du Masculin et du Féminin en Dieu !
Il y a en effet 2 récits de la Création pas tout à fait compatibles d’ailleurs entre eux, le premier la faisant se déployer sur six ou sept jours. C’est ce récit-là qui est lu à la Vigile pascale. Leur coexistence au tout début de la Bible résonne alors comme une invitation à éviter toute lecture fondamentaliste du récit de la Création. Elle nous rappelle aussi l’extrême richesse d’un récit constitué de multiples et successives strates littéraires, ce qui permet d’élargir le champ possible de ses interprétations dans l’histoire et ceci jusqu’à nos jours.
L’homme s’interroge donc sur lui-même et donc… sur sa nature genrée ! Le récit y avance une réponse qui peut alors le satisfaire. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Adam le créé n’y est d’ailleurs pour rien. La vie, il la reçoit comme un don d’un autre. Il est précédé… Dieu lui façonna alors une compagne. Dans le récit, Adam est passif : il est endormi quand Dieu plonge sa main dans son côté pour créer à partir de ce petit bout de lui-même, Eve la Créée. Pendant des siècles, nous le savons, théologiens et juristes pétris de droit romain - pendant des siècles uniquement tous des hommes ! - ont vu dans ce récit - Eve façonnée à partir d’Adam, Eve arrivée en second - le fondement scripturaire de l’état d’infériorité juridique des femmes dans lequel les sociétés anciennes les tenaient ! Dans le récit, Adam se réveillant, s’exclame d’ailleurs : « voici l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera Femme ». Cette exclamation a pu être entendue comme l’expression même d’une prise de possession de la femme surgie de sa chair. Adam prend possession d’Elle dans le fait même que c’est lui qui l’appelle « femme », comme il a mis la main sur tous les animaux en donnant à chacun leur nom. Mais en 2023, ces mots d’Adam résonnent plutôt comme une véritable déclaration de parité qui fait alors écho à l’autre récit où il est dit que « Dieu créa l’Homme à son image, (…) mâle et femelle il les créa ». Il nous est peut-être signifié là que ni l’homme, ni la femme ne se suffit, à lui seul ou à elle seule, à définir tout le genre humain. L’humanité est ainsi en elle-même porteuse de différences et rencontre féconde des principes du Même et de l’Autre.
« L’homme », avons-nous entendu, « quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un ». Ce verset ne résonne-t-il pas alors comme un hymne à l’autonomie du jeune adulte ? Ce jeune homme, cette jeune femme, pouvons-nous ajouter, qui doit un jour s’extraire des solidarités de sang qui l’ont vu naître pour inventer à son tour sa propre vie, sur des critères qui ne colleront peut-être pas entièrement avec ceux de la génération précédente.
Dans notre récit toujours, il nous est dit que Dieu a défendu à l’Homme de « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Il peut manger de tous les autres arbres mais pas de celui-ci ! Il faut bien un interdit pour délimiter justement tout ce qui est permis !
Nous connaissons la suite. Un serpent leur souffle perfidement l’idée qu’ils pourraient fort bien manger de cet arbre et ainsi avoir accès à la Connaissance du bien et du mal, autrement dit se faire l’égal de(s) Dieu(x). Créés libres, Adam et Eve ont désobéi… C’est le fameux péché originel ou la tentation de l’homme de se prendre pour Dieu. Est ainsi symboliquement posée ici la question du bon usage de notre liberté… De ce premier exercice de libre arbitre chez l’homme, de ce mauvais choix, celui de désobéir à la consigne divine, surgit alors la conscience de soi. Adam et Eve en effet se découvrent nus et vulnérables. L’épidémie du Covid nous l’a brutalement rappelé. Avec l’expulsion du jardin d’Eden commence alors l’histoire de l’humanité, autonome et responsable de son destin. Oui, décidément ce mythe d’Adam et Eve parle de nous-mêmes…
Peut-on dire que ce récit qui pose le principe de l’Unicité du genre humain, anticipe sur le Nouveau testament qui en St Paul, son auteur le plus ancien, affirme qu’au regard de Dieu et en la venue même du X parmi nous, « il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, ni maître, ni esclave ». St Paul a également posé là sans le savoir la matrice de la Déclaration des droits de l’homme. Dieu ne fait pas de différences entre le croyant et le païen, l’homme et la femme, le PDG d’une entreprise du CAC 40 et une simple caissière travaillant chez Auchan. Homme, femme, hétérosexuel, homosexuel, droitier, gaucher, en bonne santé, handicapé… Peu importe… Le seul fait d’avoir été conçu, porté et façonné à l’image de Dieu « dans le secret d’une terre profonde » comme dit le psaume 139, vaut à l’enfant qui naît une dignité inaltérable du fait même qu’il est homme. Certes, nous le savons, St Paul ne remet pas en cause la pratique de l’esclavage, il est homme de son temps, mais il rappelle qu’un esclave possède aux yeux de Dieu la même dignité que son maître. Forte des enseignements reçus, chaque époque lit l’Écriture avec les lunettes du moment.
La Bible pose donc le principe de l’Unicité du genre humain ce qui nous rend tous co-responsables les uns des autres, et nous peut être… plus que les autres qui consommons la Terre… plus que les habitants de l’Afrique, du Bengladesh ou d’Haïti qui certes aimeraient la consommer comme nous le faisons. St Paul insiste donc sur l’égale dignité de tout homme allant ainsi à l’encontre de la société de son temps qui enfermait les hommes dans des catégories : citoyens, métèques, esclaves, affranchis, femmes, publicains, pêcheurs, impurs… Quant à l’évangile, il met en scène Gabriel, l’envoyé de Dieu qui surgit dans la vie d’une jeune femme qui n’hésite pas à entrer dans le projet de Dieu. Son humilité est d’accepter d’avoir été choisie. Dieu recherche le contact de l’homme au point de confier son projet pour le monde à une simple jeune femme que la Tradition a qualifié de Nouvelle Eve. Pour St Irénée de Lyon, « Le Verbe s’est fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu’il est. » Pour ce Père de l’Église qui vivait 200 ans avant St Augustin, le motif de l’Incarnation n’est donc pas d’effacer le péché originel, mais de diviniser l’homme !
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