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Pollution lumineuse : faut-il éteindre les 11 millions de lampadaires allumés chaque nuit en France ?

RCF, le 17 mars 2022 - Modifié le 21 juillet 2023

60% des Français ne peuvent plus observer les étoiles depuis chez eux. Mais lutter contre la pollution lumineuse ne se résume pas à éteindre les 11 millions de lampadaires allumés chaque nuit. La question est complexe, elle soulève des enjeux économiques et sécuritaires. Imagine-t-on des rues non éclairées la nuit ?

Vision de nuit de Paris, France. ©UnsplashVision de nuit de Paris, France. ©Unsplash

11 millions de lampadaires allumés la nuit

 

11 millions. C’est le nombre de lampadaires qui s’allument chaque nuit en France. 60% des Français ne peuvent plus voir la voie lactée depuis leur lieu d’habitation. Les habitants des villes vivent dans un jour permanent, même s'ils ne s’en rendent sans doute pas toujours compte. Il n’y a plus, sur le territoire français, un seul endroit depuis lequel le ciel serait totalement exempt de pollution lumineuse. Toutes ces données chiffrées, sont issues du livre du géographe Samuel Challéat, "Sauver la nuit - Comment l’obscurité disparaît, ce que sa disparition fait au vivant, et comment la reconquérir" (éd. Premier parallèle, 2019).

 

Faut-il parler de nuisance ou de pollution lumineuse ? S’il ne s’agissait que d’une perte de visibilité du ciel étoilé, on pourrait parler de nuisance. "Or, du point de vue écologique et sanitaire il s’agit bien d’une pollution à part entière, explique Samuel Challéat, l’obscurité est un actif environnemental, un support, un objet, dont le vivant a besoin". 

 

Tous les êtres vivants ont besoin de cette alternance naturelle entre la lumière et l'obscurité "pour resynchroniser leur horloge biologique interne". Ainsi, les scientifiques ont montré les impacts de la lumière artificielle la nuit sur les insectes. Chez les vers luisants par exemple, elle perturbe la reproduction. À terme, la pollution lumineuse "contribue au déclin de populations", selon Léa Mariton, doctorante en biologie au Cesco (Centre d’Ecologie et des sciences de la conservation) et auteure d’une thèse sur la pollution lumineuse et son impact sur la biodiversité, notamment les chauve-souris.

 

Comment mesurer la pollution lumineuse ?

 

Aujourd’hui, la pollution lumineuse est quantifiée par rapport à la qualité du ciel étoilé. "On a du mal à trouver des indicateurs pertinents du point de vue écologique et sanitaire", selon Samuel Challéat. Il y a d’ailleurs des controverses scientifiques autour des indicateurs.

 

Les premiers à avoir alerté sur la pollution lumineuse, ce sont les astronomes américains. Ils ont lancé dans les années 50 le dark-sky movement, le mouvement pour la préservation du ciel nocturne. Petit à petit les professionnels ont installé leurs postes d’observation sur les hauts sommets de l’hémisphère sud, délaissant la question aux astronomes amateurs. Ce sont eux qui ont documenté cette question devant "l’avancée du front d’urbanisation et de la pression lumineuse".

 

Aujourd’hui, la recherche sur la pollution lumineuse est menée par des équipes pluridisciplinaires. Ainsi le collectif Renoir, pour Ressources environnementales nocturnes et territoires, dont Samuel Challéat est le coordinateur. Il travaille à la fois sur les questions liées à la biodiversité et la santé, mais prennent aussi en compte différents aspects comme les enjeux politiques, sécuritaires, économiques. Et aussi la charge culturelle symbolique de l’obscurité dans les territoires.

 

Une charge symbolique puissante qui montre notre rapport ambivalent à la nuit

 

Qu’est-ce que ça apporte aux gens, cette nuit, cette obscurité ? Samuel Challéat comme Léa Mariton ont beau être des scientifiques : pour l’un comme pour l’autre la dimension symbolique de la nuit a son importance. "La nuit c’est un espace-temps de ressourcement, de réflexion, de re-concentration sur soi, mais aussi la place de soi dans le monde et les problèmes du monde", nous dit le géographe. Qui cite Baudelaire : "Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici" (Poème « Recueillement », 1861).

 

Si chacun aime observer les étoiles, nous gardons "un rapport ambivalent à la nuit, à l’obscurité", souligne Samuel Challéat. Il y a toute cette charge symbolique, "l’opposition entre bien et le mal, la foi, l’obscurantisme, la modernité, le retour à la bougie…"

 

Plus concrètement, s'attaquer à la pollution lumineuse, c’est aller trouver des élus dont les communes ont investi pour 20 ou 30 ans dans du matériel. C’est questionner toute une économie de l’éclairage. En arrière-plan c’est une question sécuritaire : pourquoi la nuit, quand on marche en ville, on préfère emprunter les rues éclairées… 

 

© RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Je pense donc j'agis
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