Ce sont des images qui ont fait le tour du monde. Le 28 février 2025, dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été humilié par le président américain Donald Trump et ses conseillers. Une scène filmée et diffusée sur les chaînes du monde entier, qui surprend, inquiète, et pose la question de la place de l’humiliation dans la diplomatie. Une émission Je pense donc j'agis présentée par Melchior Gormand et Madeleine Vatel.
La diplomatie permet-elle encore "aux différents acteurs de rompre les forces et de s’entendre pour marcher ensemble vers la paix” ? C'est la question que pose le philosophe Olivier Abel, invité dans l'émission Je pense donc j'agis. Que s'est-il vraiment passé ce 28 février ? Quelle place occupe l’humiliation dans les relations internationales ? La diplomatie est-elle en plein changement ?
Le 28 février, alors qu’en face de toutes les caméras du monde, le président ukrainien Volodymyr Zelensky rencontrait le président des États-Unis Donald Trump, dans l’espoir d’augmenter le soutien américain à la cause ukrainienne, voire de trouver un terrain d’entente pour la paix, l'échange s'est progressivement tendu. Moqué, rabaissé et jugé, Volodymyr Zelensky a subi une “humiliation”.
Donald Trump surfe sur l'humiliation.
Rompu à l'exercice des négociations, Michel Foucher, diplomate et ancien ambassadeur de France en Lettonie, rappelle l'importance de prendre en compte le fait que "Zelensky et Trump sont tous les deux des hommes de télévision", cherchant la meilleure séquence et utilisant la diplomatie comme arme de communication. Selon l’ancien diplomate, Donald Trump n’est pas un véritable négociateur : "dans une négociation, il ne tient pas quatre minutes, il se contente de quelques fiches bristol, il ment en permanence. Sur les montants des aides à l'Ukraine par exemple".
En revanche, cette humiliation pourrait avoir un impact non négligeable sur les négociations de paix. Selon Olivier Abel, philosophe, professeur émérite de philosophie et d'éthique à la faculté de théologie protestante, auteur du livre L’Humiliation, le poison de notre siècle publié aux éditions Les liens qui libèrent, "la négociation n’est pas possible avec celui qui a été humilié, elle renforce les rancœurs, les envies de revanche, aujourd’hui il y a trop de chefs d’état qui utilisent l’humiliation comme carburant, Trump le premier ; il surfe sur l’humiliation".
La négociation n’est pas possible avec celui qui a été humilié.
Dans cette rencontre entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump, l'issue a été toute autre en raison de l'attitude du président ukrainien. Olivier Abel souligne comment "l’impact d'une humiliation dépend de la réaction que l’humilié va avoir. L’humiliation est censée faire taire, écraser, mais là, il s'est passé autre chose".
Michel Foucher, également géographe et essayiste, reconnait qu'il y a "ce qui se passe avant et ce qui se passe après. Je pense que cette séquence a été très bénéfique pour l'Ukraine". Passée cette rencontre télévisée, et la crainte de voir les dynamiques internationales remises en cause, Donald Trump, qui avait dans un premier temps suspendu l'aide financière et militaire américaine à l'Ukraine, est revenu sur sa décision et a proposé un cessez-le-feu à la Russie.
Loin d’être un cas isolé, cette altercation télévisée met en lumière les multiples humiliations que subissent présidents, pays et peuples dans les rapports internationaux. Si dans certains cas les diplomates se gardent d'utiliser cette technique diplomatique : "On m’a toujours dit de ne pas humilier la Russie", raconte Michel Foucher. Réagissant à la remarque d'un auditeur venu souligner les rapports inégaux de l'Afrique avec l'Occident, et regrettant que "ces humiliations apportent violence et misère", l'ancien diplomate français confirme : "Le Sénégal peut se sentir humilié lorsque la France ne la considère pas comme un égal, par exemple en recevant le président sénégalais avec un secrétaire et non avec Emmanuel Macron".
La majorité des conflits est liée au statut accordé à un pays, et à la différence entre la reconnaissance souhaitée et réelle.
D’après Giulio de Ligio, philosophe politique, maître de conférences à l'université catholique de l'Ouest à Angers et auteur de nombreux ouvrages sur la démocratie et le totalitarisme, l’Europe aussi se laisse parfois aller en rabaissant l’importance de certains de ses États membres, et donc d’une partie de ses citoyens : "Il faut prendre en compte la perception des peuples, et j’ai envie de parler d’humiliation des nations, lorsque par exemple, l’UE ne considère pas les pays d’Europe de l’Est de façon égalitaire".
Donald Trump n'en est pas à sa première offense publique alors même qu'il n'a pris ses fonctions que depuis un mois et demi à la Maison Blanche. "Il n’y a pas que Zelensky que Trump a humilié. Le Canada avec son ancien Premier ministre Justin Trudeau l’a aussi été, il a d’ailleurs démissionné. Le Danemark également à propos du Groenland", résume Michel Foucher. Le géographe et essayiste en profite pour rappeler que "la majorité des conflits est liée au statut accordé à un État, et à la différence entre la reconnaissance souhaitée et réelle. C’est le problème de la Russie avec la Chine qui lui prend sa place historique, ou avec le traité de Versailles, vécu comme une humiliation par l’Allemagne".
Science des relations entre États, la diplomatie est secouée par les bouleversements géopolitiques récents. Olivier Abel pointe le cœur du problème : "un des principaux soucis, ce sont ceux qui pensent qu’ils seront toujours les plus forts. Avant, on conduisait la guerre pour aller vers la paix, aujourd’hui, la Russie et les États-Unis ne sont plus dans cette optique, il n’y a plus d’ennemi, mais des insectes à écraser".
Selon Giulio de Ligio, "nous sommes en train de vivre l’affaiblissement de l’ordre qui avait dépassé la fin de la Guerre froide, et on voit que la loi du plus fort n'est pas la seule loi, surtout dans un ordre qui n’est plus capable de réconcilier les nations". Dans ce sens, le philosophe politique considère que l'ordre international doit se stabiliser pour repartir sur des bases plus saines : "on peut faire des efforts, même au cœur de la guerre, il faut penser à la paix. Europe, États-Unis, Chine et Russie doivent clarifier leur position dans l’ordre international".
Il n’y a plus d’ennemi, mais des insectes à écraser.
D'après Giulio de Ligio, la diplomatie et l’assainissement des relations internationales passent aussi par une réconciliation des peuples : "il faut tenir compte des passions qui relient les peuples, l'histoire et les valeurs communes. Si l’Ukraine ne permet pas d’atteindre la paix, il faudra trouver comment nous-mêmes nous pouvons l'y aider".
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
Intervenez en direct au 04 72 38 20 23, dans le groupe Facebook Je pense donc j'agis ou écrivez à direct@rcf.fr
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