Commencée il y a plus d’un an, l’invasion menée par l’armée russe en Ukraine va de rebondissements en rebondissements. Cette guerre prend ses racines dans de nombreux aspects culturels et historiques parfois méconnus qui peuvent expliquer en partie certains comportements et stratégies.
« C’est une histoire qui n’est pas entièrement écrite et qui reste toujours un champ de bataille entre historiens ukrainiens et russes » présente Jean Lopez, directeur de la rédaction de la revue Guerres & Histoire. Le décor est posé : l’histoire n’est pas simple entre ces deux pays « mitoyens qui ont beaucoup en commun mais qui sont indéniablement différents ». Dès le XIXème siècle, l’intelligentsia ukrainienne tente d’entamer un processus de différenciation pour prendre ses distances avec la Russie, non sans mal car au sein même de ce grand pays, les mentalités et les cultures diffèrent. Si bien que certains territoires sont plus russophiles que d’autres.
En 1917, la révolution d’octobre débouche sur la création d’une République populaire d’Ukraine. « Mais cette tentative arrive au mauvais moment, explique Jean Lopez, parce que cette première République va se retrouver coincée entre les appétits des bolcheviks qui [ne conçoivent pas] l’URSS sans l’Ukraine, ne serait que pour des raisons industrielles. Et de l’autre côté la Pologne qui a elle aussi des revendications particulières avec des terres qu’elles considèrent comme les siennes ».
L’Holodomor, la grande famine orchestrée au début des années 30 par Staline et qui a fait quelques quatre millions de morts rien qu’en Ukraine, est aussi une des ombres qui planent aujourd’hui sur ce conflit. « Pour les ukrainiens il y a là une blessure épouvantable, quelque chose qui ne s’est pas réparé », commente Jean Lopez bien qu’il soit sceptique sur le terme de génocide parfois employé. Preuve que c’est un point important, la France a reconnu début avril l’Holodomor. Une manière de dénoncer les crimes du stalinisme à un moment où Poutine essaient de les réhabiliter. Le chef du Kremlin rêve du moins de reconstituer la Russie impériale de Catherine II.
Poutine, qui omet d’ailleurs certains aspects de la Seconde guerre mondiale. Alors qu’il dit vouloir « dénazifier l’Ukraine », le président russe veut se placer du bon côté de l’Histoire, c’est-à-dire celui de la Russie qui a vaincu l’Allemagne nazie. Pourtant, « il y a certainement beaucoup plus de Russes qui ont collaboré avec l’armée allemande » que d’Ukrainiens, estime Michel Goya, officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine. Tout aurait d’ailleurs pu se dérouler différemment en raison du pacte de non-agression signé entre Hitler et Staline le 28 août 1939, qui était davantage un appel à la collaboration. « En fait les Nazis et les Soviétiques ont été des alliés sans alliance », estime Jean-Jacques Marie, historien spécialiste de l'Union soviétique et du communisme, auteur de La collaboration Staline (éd. Tallandier, 2023). Il se dit même que les deux dictateurs se vouaient « une admiration mutuelle ».
En 1943/44, l’arrivée de l’armée rouge en Ukraine n’est pas synonyme de libération pour les Ukrainiens. S’ils échappent d’une part à la mainmise nazie, ils retombent dans une occupation russe. Une situation qui pousse certains maquisards, de la même mouvance que le très controversé Stepan Bandera, à mener des combats contre le Commissariat du peuple (NKVD) et le service de renseignement russe (KGB). Au sortir de la guerre, la très grande majorité de l’Ukraine est en tout cas favorable à l’indépendance.
Une histoire commune et complexe qui se ressent dans l’actuel conflit. Dans leur livre L'ours et le renard - Histoire immédiate de la guerre en Ukraine (éd. Perrin, 2023), les co-auteurs Michel Goya et Jean Lopez font d’ailleurs plusieurs parallèles entre la situation de l’armée rouge soviétique pendant la seconde guerre mondiale et l’armée russe aujourd’hui. Que ce soit la proportion anormalement élevée d’officiers supérieurs tués au combat ou encore l’envoi au combat d’hommes sans expérience, sans formation, sans encadrement ni matériel nécessaire. Mais la comparaison s’arrête là car l’armée russe actuelle est loin d’être aussi massive que celle de l’URSS. Des faiblesses du côté de l’Ours, dont le Renard qu’est l’Ukraine pourrait bénéficier.
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