Avec leurs règles, leurs rites et leurs croyances, les religions peuvent parfois renforcer le communautarisme et nous diviser. Pourtant, s'il y a bien un point commun entre l'islam, le christianisme et le judaïsme, c'est le devoir de prendre soin de l'autre, faible ou souffrant. Dans les trois grands monothéismes, il s'agit d'honorer Dieu.
Début et fin de vie, procréation médicalement assistée, intervention médicale sur le vivant, recherche sur l’embryon humain, don et transplantation d’organes, intelligence artificielle… En France, on consulte généralement les représentants des cultes avant de légiférer sur les sujets bioéthiques. Le rapport entre religion et bioéthique est d'ailleurs beaucoup plus ancien qu’on pourrait le croire. Le christianisme, comme le judaïsme et l’islam : ont en commun un regard sur le soin et la médecine. Dans les trois grands monothéismes, on considère que c’est une manière d’honorer Dieu que de prendre soin de l’autre souffrant ou fragile.
Si l’on ne parlait pas de "bioéthique" aux premiers temps du christianisme, du judaïsme ou de l’islam, le rapport entre religion et bioéthique est fort ancien. Chez les chrétiens, c’est l’un des premiers impératifs. Comme l’illustre la parabole du bon Samaritain, il s’agit de prendre soin de l’autre quel qu’il soit : il en va de "la présence même du Christ qui est honorée dans le monde", rappelle Bruno Saintôt, jésuite, directeur du département d'éthique biomédicale du Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris.
"Tu aimeras ton prochain comme toi-même", lisent les juifs dans le Livre du Lévitique. Dans la conception juive, "Dieu n’a pas créé un monde parfait, il attend justement de l’homme qu’il contribue à ce perfectionnement du monde, notamment avec le soin apporté au malade", explique Michaël Azoulay, rabbin en charge des questions sociétales auprès du grand rabbin de France et auteur notamment du livre "Éthiques du judaïsme" (éd. La Maison d’édition, 2019). Ainsi, le fait de rendre visite à une personne malade, par exemple, se fait selon des règles précises.
L’importance du soin est aussi soulignée dans l’islam. "Le texte sacré dit que toute personne qui sauve une vie humaine sauve l’humanité entière, ça donne tout de suite la visée universelle du salut et du soin", souligne le philosophe Ali Benmakhlouf, professeur à l'université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et auteur de "L’humanité des autres" (éd. Albin Michel, 2023). Il y a aussi dans l’islam une insistance sur la dimension intergénérationnelle. "Souvenez-vous, dit le Coran, combien vous-mêmes avez été bien vulnérables à votre naissance." Les fidèles musulmans ont le devoir de prendre soin de leurs parents comme ceux-ci ont pris soin d’eux à leur naissance.
La médecine n’est pas opposée à Dieu
"On pourrait penser Dieu est le médecin mais en réalité Dieu délègue au médecin", explique le rabbin Michaël Azoulay. Les trois grandes religions monothéistes envisagent une forme de complémentarité entre l’action de Dieu et celle du médecin, dont on loue la mission. Pour les chrétiens, la médecine "n’est pas opposée à Dieu", souligne Bruno Saintôt, au contraire : il s’agit pour l’être humain de mettre au service d’autrui "ses capacités d’intelligence". "Cette tradition va lier la présence de Dieu dans l’histoire et l’utilisation des forces humaines."
Dans le judaïsme, c’est même "un commandement pour le médecin d’utiliser son art pour guérir les personnes malades". En soignant, le médecin "accomplit un devoir religieux et pas seulement moral", nous dit Michaël Azoulay. On insiste également chez les juifs sur la continuité entre le rôle du médecin et celui des proches, notamment pour accompagner la fin de vie - "Ce n’est pas que le rôle du médecin, mais aussi des proches", souligne le rabbin – continuité que l’on retrouve dans l’islam. Ali Benmakhlouf insiste sur "la continuité du soin" entre les médecins et les proches : "La continuité des soins ne peut être assurée que si les proches sont engagés."
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Ces points communs entre les trois grands monothéismes, ont permis, entre autres, de concevoir au XXe siècle la vision universelle de la bioéthique. Un terme que l’on doit au cancérologue Van Rensselaer Potter (1911-2001). Il est apparu en 1970, dans le contexte particulier de la guerre du Viet Nam (1955-1975) et de la prise de conscience des risques liés à l’armement nucléaire.
Avant les travaux de Van Rensselaer Potter, le procès des médecins de Nuremberg, entre décembre 1946 et août 1947, avait permis de "mettre sur la scène internationale" une "éthique biomédicale". En réaction aux expérimentations des médecins nazis sur les Juifs, on a élaboré pour la première fois des règles à portée universelle.
La bioéthique, c’est "la science de la survie de l’humanité". Une humanité capable de se détruire elle-même : la bioéthique est née d’une remise en cause de la science. Pour élaborer "une éthique laïque globale du vivant, à visée universelle", explique le Père Bruno Saintôt, les premiers penseurs de la bioéthique ont convoqué aussi bien les sciences humaines que les sagesses et les religions.
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