Tantôt perçue comme un lieu transitoire et de passage, tantôt comme un lieu de rencontre et d’échange, la rue est en perpétuel renouvellement et connaît un visage différent chaque jour. Entre bienveillance et agressivité, individualisme et entraide, quelle est la sociologie de la rue et comment faire pour s’y sentir bien ?
Avec le temps et les différents mouvements d’exodes ruraux, la population dans les villes n’a cessé de croître. Naturellement, leur taille aussi. Selon certains, cela s’accompagne d’un individualisme, d’autant que ces vingt dernières années, les écouteurs ont envahi l’espace public et nous isolent les uns des autres. Thibaut Besozzi est docteur en sociologie. Il explique que parmi les cinq dimensions de l’espace public, on compte les fonctions de mobilité, de sociabilité - bien qu’elle soit questionnée aujourd’hui -, d’expression politique et démocratique, et des fonctions marchandes et artistiques. Les villes s’adaptent, s'aménagent. Dans les années 1970, par exemple, la voiture s’est imposée et il a fallu penser un nouveau visage de la rue. Paris incarne ainsi le défi de faire cohabiter l’automobile avec la "ville musée".
Récemment aussi, on a assisté à l'installation d’un mobilier urbain pensé pour "repousser certaines populations en dehors de la ville". Elles sont principalement construites aujourd’hui en termes d’esthétique et de fluidité. Et pourtant, les urbains ne cessent de s’approprier des espaces publics, de les transformer, les détourner et de se les approprier. Le défi des municipalités est de faire cohabiter les personnes en ville. La rue, fréquentée par des populations de tous les âges et origines, doit devenir un "lieu de vie".
Si tout va de plus en plus vite en ville, des transports aux modes de consommation, cela développe-t-il un aspect plus individualiste de la rue ? Elle donne, comme les réseaux sociaux, l’illusion d’être ensemble, tout en étant seul. Thomas Belleil est étudiant en théologie et auteur de "Mission Possible, petit guide pour oser évangéliser", aux éditions des Béatitudes. Il souligne qu’en fonction des usagers, "la rue est utilisée de manières différentes". Pour lui, il s’agit d’une rencontre perpétuelle et sans a priori, qui lui a permis d’échanger avec "une grande diversité de personnes". Pour le jeune auteur, la rue est un terrain fertile et propice à la rencontre. Qu’il y aille de manière personnelle ou institutionnelle pour parler de sa foi, "c’est toujours l’inconnu mais je vis des trucs de ouf".
Yohan Gicquel, maître de conférences en sciences humaines et sociales à l’Université de Reims, remarque qu’il y a "encore des gens qui s’émerveillent de la rue, des marcheurs philosophes". D’autres gens, eux, sont plus pessimistes. C’est souvent le cas des femmes, qui se sentent moins en sécurité, ou des enfants, qui peinent à trouver leur place dans l’espace public. Certaines rues et certaines villes, sont plus propices que d’autres pour la rencontre, moins sujettes à la violence ou à l’agressivité.
La rue est un monde fulminant. Comme elle appartient à tous et à personne, certains se l’approprient. Certains y vivent, d’autres commercent, trafiquent, certaines vendent leur corps, d’autres montrent leurs arts. Pour Thibaut Besozzi, il y a "toute une vie cachée qui se joue dans la ville et dont elle essaie de se déjouer". La rue, ainsi, est un véritable microcosme où s’exercent des rapports de pouvoirs et de domination, mais aussi de grande solidarité et parfois de bienveillance.
Yohan Gicquel explique que la rue est un espace facilement et gratuitement exploitable, "avec un peu de créativité". Elle est modelable, c’est "un espace inattendu" pour Thibaut Besozzi, et de souligner que ce sont les passants qui font la rue et ses ambiances. Leur responsabilité n’est pas moindre, "j’entends souvent dire que la ville est sale, mais en fait c’est de la faute des gens qui la font", ajoute Thomas Belleil.
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