Récemment, des salaires mirobolants de footballeurs ont été révélés. Si elles ne sont ni surprenantes ni secrètes, ces révélations ont le mérite de raviver le débat autour de la raison du foot à la veille de la Coupe du monde. Connu comme un sport populaire et fédérateur, le football voit son image évoluer. Les grandes icônes du ballon rond représentent-elles encore ce sport de cour de récré ?
Le 17 octobre 2022, Karim Benzema était récompensé du Ballon d’Or. Un "Ballon d’Or du peuple", pouvait-on entendre dans son discours. Benzema est l’un de ces gones qui a réussi à s’imposer comme une icône du football. François da Rocha Carneiro est l'auteur du livre "Une histoire de France en crampons", paru aux éditions du Détour. Il voit Benzema comme "un joueur toujours resté authentique sur le terrain. Il est apprécié par les milieux populaires qui se retrouvent en lui." Et ce malgré un salaire qui atteint des sommets.
La virtuosité de ces joueurs n'a pas fini de faire rêver. Le Ballon d'Or incarne depuis les années 1950 un graal, la France est d'ailleurs le pays qui en a fourni le plus. Pourtant, considérer notre pays comme une nation de foot peut être ambitieux, d'autant que l'on ne sait pas si cela se compte par rapport au nombre de téléspectateurs ou à la qualité des joueurs. Une chose est sûre : nombreux sont les footeux "croyants mais pas pratiquants". Vincent Grimault est spécialiste du football à Alternatives Économiques. Il voit ce sport comme "le sujet économique et social par excellence". L'aspect financier se retrouve sans aucun doute dans les grands clubs européens. On entend parler de corruption, d'argent sale et de marchandisation des joueurs chez les détracteurs du football.
Il faut attendre 1932 pour que le foot devienne professionnel. Jusqu'aux années 1980, les sommes d'argent générées par les clubs gardent des proportions raisonnables. C'est l'émergence des chaînes de télévision privées qui apportent les premières recettes. Elles achètent les droits de diffusion aux clubs, qui deviennent rapidement une ressource importante. Très vite, les recettes du football sont multipliées par trois. Vincent Grimault pointe du doigt les "budgets très importants des clubs, qui peuvent parfois atteindre un milliard". Pour l'industrie du loisir et du divertissement, c'est beaucoup. Et si l'on compare au rugby, c'est astronomique. L'arrivée de Neymar a ainsi coûté 489 millions d’euros au PSG.
Pour certains, le foot d’en haut profite au foot d’en bas. François da Rocha Carneiro estime que les importantes recettes des clubs peuvent "ruisseler sur le foot d’en-bas". En terme d’image, d’envie, d’inspiration ou de rêve, ce sport continue d’inspirer et est le vecteur de nombreux espoirs. Pour pallier cette problématique de l'argent, Vincent Grimault estime que "l'on peut mieux faire". Une solution serait par exemple de taxer le foot à différentes échelles, ou de faire de la prévention sur les paris sportifs. "Le football amateur souffre", constate le journaliste.
La France, grâce aux moyens dont elle dispose, à la qualité de ses éducateurs et de ses infrastructures, peut développer le talent de ses joueurs à haut potentiel. Pour Vincent Grimault, c'est une "nation de grands talents". François da Rocha Carneiro croit en un football "à l’image de la société qui le consomme et qui le produit". Les effets du libéralisme se reflètent selon lui chez les élites du football européen. Les stades de foot semblent être les concentrés des pulsions. L’actualité a montré que certains supporters voyaient les gradins comme des exutoires pour tenir des propos homophobes ou racistes. François da Rocha Carneiro reconnaît qu’il y a parfois des "pulsions qui dépassent les supporters", et que c'est un dossier à travailler. Pourtant, la grande mixité sociale que permet le football n’est-elle pas le meilleur antidote contre le racisme ?
La question des valeurs véhiculées par le football est mise en exergue par l'actualité. Dans moins d’un mois sera lancée la coupe du monde 2022, et beaucoup dénoncent les non-sens liés à son organisation. La FFF est très critiquée, Vincent Grimault estime qu’il faut "revoir la gouvernance du foot. C’est un produit politique par excellence, un enjeu de service public." En ce qui concerne le boycott de cet événement sportif, les intervenants sont mitigés entre sentiment patriotique, raisons professionnelles et éthique personnelle. L’appel au boycott est parfois vu comme une "hypocrisie et un réflexe de classe". Vincent Grimault note que "si les audiences sont en chute libre, il y aura des conséquences".
François da Rocha Carneiro explique qu'il était initialement mal vu de gagner de l'argent en jouant au foot. Ceux qui le pratiquaient à haut niveau étaient ceux qui avaient de l'argent, "souvent des fils de patrons". Peu à peu, les joueurs de l'ombre passent à la notoriété et deviennent des superstars. C'est dès 1910 que la professionnalisation du football se met en place, avant de se généraliser dans les années 1920. Le temps demandé pour les entraînements demande de l'argent.
Et face à la situation actuelle, le spécialiste du ballon rond nuance : "Quelques cartels du foot dominent la planète, mais il ne faut pas en faire une généralité. J’ose espérer que le foot est plus fort que ces manigances d'ultra riches." Aux États-Unis, par exemple, la fédération a fixé un "salary cap", sorte de plafond de salaire qui ne peut pas être dépassé. Il permet l'équité entre les équipes et la revalorisation du jeu. En France, "ce n'est pas une bataille perdue : beaucoup de supporters seraient très ouverts à cette idée", note Vincent Grimault. Si le football semble s'être assaini financièrement pendant une dizaine d'années, "le Covid a rouvert la boîte de Pandore".
Il est important de souligner que le foot de l'ombre est resté un sport populaire, qui permet une mixité sociale sans conséquent, qui peut se jouer sur tous les terrains et qui continue de fédérer à travers ce ballon rond qu'est la Terre. Vincent Grimault insiste sur le fait que la majorité des joueurs ont une carrière destinée à ne durer qu'entre cinq et sept ans, et touchent en moyenne 10.000 euros brut par mois. Pour beaucoup d'entre eux, cette carrière de footballeur les a conduits à faire de nombreux sacrifices. Une certaine franche du football garde donc les pieds sur terre. Et heureusement !
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