Alors que la date fatidique du début des élections européennes approche à grands pas, de nombreux analystes prévoient une forte vague de populisme. Que recouvre précisément ce terme, quel danger représente-t-il et faut-il rester vigilant face à ce phénomène ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Madeleine Vatel et Melchior Gormand.
Pourquoi la montée du populisme ne cesse d'inquiéter les démocrates ? À l'approche des élections européennes, le 9 juin prochain, les partisans de ce courant multiplient les critiques contre Bruxelles. Pourquoi ? Parce que précisément, c'est au cœur de leur idéologie. Selon eux, les élites - intellectuelles, politiques, économiques - oublient le peuple, le méprisent, le volent. Le populisme est aussi une culture de la défiance, vis-à-vis de l’étranger et de l'altérité. Une approche simpliste, soutenue par un discours parfois sans nuance, mais qui touche le cœur de ceux qui l'écoutent, et fait vibrer les cordes de l'émotion et du bon sens.
Que ce soit le Rassemblement National (RN) et La France Insoumise (LFI) en France, le gouvernement de Viktor Orban en Hongrie ou encore celui de Giorgia Meloni en Italie, la montée des extrêmes en Europe inquiète les défenseurs de la démocratie. Car ce mouvement séduit, mais une fois au pouvoir, l'étau se resserre sur les juges et les opposants. Les restrictions se multiplient à l'égard de la presse, le pouvoir subit le contrôle d'un exécutif fort, et le pluralisme politique en prend un coup.
Le populisme est-il de droite ou de gauche ? En réalité, il n'y en a pas un, mais plusieurs, avec comme point commun la défense du peuple contre les élites. À l'origine, le populisme trouve ses racines à la fin du XIXe siècle, pendant la période d’industrialisation aux États-Unis et en Russie.
Là où la démocratie se définit par l’exercice de la souveraineté par le peuple, par le biais des référendums et suffrages universels directs, le populisme est plus compliqué à définir. "Ce n’est pas comparable à une idéologie classique", explique Martial Libera, professeur d'histoire contemporaine à l'IUT Robert Schuman de l'Université de Strasbourg. "Non seulement c’est un phénomène qui varie au cours du temps, mais en plus il est presque impossible de le ranger dans l’échiquier politique."
Le populisme passe au-dessus de ces représentativités pour parler directement au peuple.
Une autre différence se fait entre la démocratie et le populisme : la question de représentativité, abordée par Sylvain Schirmann, chercheur, professeur à l'université de Strasbourg et ancien directeur de Sciences Po Strasbourg. "La démocratie est représentative, le peuple mandate les personnes qui les représenteront lors de vote à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Le populisme, quant à lui, passe au-dessus de ces représentativités pour parler directement au peuple", explique-t-il. Un lien direct qui casse donc les codes de la politique traditionnelle. "Ce discours est toutefois dangereux car il exploite les émotions de ses auditeurs, pour une finalité qui s’éloigne de celle d’une approche démocratique", ajoute Sylvain Schirmann.
Aujourd’hui, le climat politique est tel que le populisme peut se développer sans grande difficulté. "Il se nourrit intrinsèquement de crises, quelles soient économiques, sociales ou politiques", relate Martial Libera. "L'addition de ces crises provoque l’éclosion du populisme ; les politiques en place ne trouvant pas de solutions, le peuple se tourne vers ceux qui proposent des solutions rapides." Et ces solutions, d’après Benoît Hervieu-Léger, journaliste et rédacteur en chef adjoint de la Revue Projet, se définissent par le "tout, tout de suite" du populisme qui propose de "corriger certaines tendances avec une certaine immédiateté", même si cela signifie outrepasser les systèmes en place. Une immédiateté que beaucoup souhaiteraient et que Pierre, fidèle auditeur de RCF, justifie par "le déficit culturel en politique du peuple".
Les politiques en place ne trouvant pas de solutions, le peuple se tourne vers ceux qui proposent des solutions rapides.
Mais la montée en puissance du populisme semble plus trouver sa source dans l'insatisfaction de l’électorat de gauche, selon Sylvain Schirmann : "ces électeurs font le choix de se repolitiser par un autre biais, car ils se sont sentis abandonnés par le parti traditionnel". C’est pour cette raison que le parti La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon semble avoir le vent en poupe : "LFI est sur une autre ligne : elle condamne le capitalisme et son fonctionnement, et accuse l’Europe de détricoter leur État providence", ajoute Sylvain Schirmann.
Autre facteur important, l’utilisation des réseaux sociaux, maitrisée par les partis tels que le RN et LFI. Selon Sylvain Schirmann, ces partis sont très en pointe sur ces réseaux, "ce qui augmente drastiquement leur visibilité et, forcément, leur popularité auprès des jeunes", évoque-t-il. Malgré tout, ces partis ne sont pas marginalisés du jeu politique, ils font aussi le jeu des médias traditionnels.
Ces électeurs font le choix de se repolitiser par un autre biais.
L'ancien directeur de Science Po Strasbourg s'étonne de les voir au centre même du jeu politique : “je vois des médias organiser des débats entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, je n’ai pas l’impression qu'ils soient marginalisés. Il me semble même que les autres partis se place sur l’échiquier selon le RN, si bien que les élections européennes ne semblent opposer que la majorité présidentielle et le RN".
"Arrivés au pouvoir, on s’aperçoit des avantages de l’Union Européenne". Malgré la tendance anti-européenne de nombreux partis populistes aujourd’hui, Sylvain Schirmann explique que cette vision change lors de l’arrivée au pouvoir d’un président aux visions populistes : "l’UE a beaucoup plus d’avantages que de défauts, notamment la protection qu’elle offre. Que ce soit en Hongrie, aux Pays-Bas, en Slovaquie ou en Italie, personne ne semble se préparer à quitter l’Union Européenne". Malgré leur volonté à l’origine de s’émanciper de cette union, force est de constater que quitter l’UE serait très dangereux : "on a pu le voir avec le Brexit au Royaume-Uni. Ils pensaient retrouver leur souveraineté économique en quittant l’UE, mais aujourd’hui on voit que leur situation est moins bonne que l’Union Européenne", ajoute-t-il.
Le chef populiste s’estime légitime de remettre en question un ensemble d’institutions d’équilibre.
Malgré tout, de l’autre côté de l’océan Atlantique, des gouvernements populistes comme l’était celui de Bolsonaro au Brésil ou encore celui aujourd’hui de Javier Milei en Argentine se sont développés, avec des conséquences directes comme "la réduction du contre-pouvoir que représente la justice, la prise de contrôle de la presse et des services d’informations, ainsi que des attaques très vives contre les milieux intellectuels comme les académies publiques, vues comme étant des officines communistes et gauchistes", précise Benoît Hervieu-Léger.
Une situation très dangereuse dont le journaliste dépeint les conséquences : “finalement, on constate une réduction à une parole de communion entre le dirigeant et le peuple tel que le dirigeant le conçoit". L’illibéralisme est aussi favorisé par la montée des mouvements populistes : "après avoir obtenu la majorité, le chef populiste s’estime légitime de remettre en question un ensemble d’institutions d’équilibre, ainsi que celles de protection du citoyen.” C’est là le principal danger du populisme selon Sylvain Schirmann.
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