Des conventions de tatouage, il y en une dizaine par mois dans notre pays. Pourquoi de plus en plus de personnes sont-elles tatouées en France et dans tout le monde occidental ? Cette pratique a beau se démocratiser, elle n'est pas anodine. Le très notable succès du tatouage dit quelque chose du rapport des individus à la société et du rapport au corps dans la culture de l'Occident.
Fin avril 2022, la ville de Lyon a accueilli pas moins de 200 artistes tatoueurs lors de la convention internationale du tatouage The Ink Factory. Mais des événements liés au tatouage, il y en a plus de 10 par mois partout en France. Aujourd’hui un Français adulte sur sept est tatoué. Et plus d’un actif sur quatre porte un tatouage chez les moins de 35 ans. Des chiffres de l’institut de sondage Ipsos, qui datent de 2020. Tout porte à croire que depuis, ils sont en augmentation.
De quoi ces tatouages sont-ils le signe ? Il y a "énormément de raisons" à cette démocratisation du tatouage en Occident, selon Clémence Mesnier, docteure en littérature comparée. À l’heure des réseaux sociaux, l’image a de plus en plus d’importance. Et sans doute qu’à une époque où tout semble aller très vite, on tente avec ces dessins indélébiles de "lutter contre l’irréversible", avance la chercheuse. Auquel cas le tatouage serait "un marqueur temporel" qui permettrait de figer une apparence.
Souvent, on se fait tatouer pour célébrer un moment, un souvenir ou une amitié. Avec parfois le choix d’un "tatouage doudou", comme l’appelle Clémence Mesnier, c’est-à-dire "quelque chose que l’on a pour soi avec soi constamment avec soi".
Aujourd’hui, quand on veut se faire tatouer, on va trouver tel ou tel tatoueur "parce qu’il a son propre style", explique Sarra Mezhoud, doctorante en histoire de l’art. Et plus il y a de styles plus il y a de nouveaux publics à qui plaire : tribal, old school, graphique, réaliste… "Chacun peut trouver son style, c’est pour ça que le tatouage se démocratise aujourd’hui."
Ainsi, le motif religieux reste très présent. Selon Sarra Mezhoud, il a été "réactivé" grâce au style chicano, né sur la côte ouest des États-Unis. Un style qui représente souvent la figure la Vierge Marie de manière colorée.
Dans "Tristes tropiques" (1955), l’anthropologue Claude Lévi-Strauss écrit : "Il fallait être peint pour être homme. Celui qui restait à l’état de nature ne se distinguait pas de la brute." Pour Clémence Mesnier, cela signifie bien ce qui se joue originellement à travers le tatouage, à savoir "un processus d’humanisation".
Le paradoxe social du tatouage c’est qu'il permet à un individu de se différencier des autres, mais il permet aussi de se rattacher à une communauté. "Le processus d’humanisation passe par cette tension-là, explique Clémence Mesnier, trouver sa place dans un groupe et en tant qu’individu au sein du groupe." En cela, le tatouage "rejoint les questionnements sur la place de l’individu dans la société actuelle".
Cette pratique contemporaine du tatouage en Occident est donc un "mode d’expression de soi", résume Mélanie Girard. Professeure en interdisciplinarité, à l’université de Hearst (Canada) elle est la co-auteure de l’article "Représentations du tatouage : le paradoxe de la différenciation et de l’assimilation", dans la revue Nouvelles perspectives en sciences sociales (2020).
Pour elle, le tatouage est le "résultat d’une évolution" vers la "postmodernité". "L’humain à travers le temps a un peu transcendé, franchi des frontières" et "le corps d’une certaine façon devient la dernière frontière"...
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