À l’occasion de la sortie du livre “Les pires amis”, romançant les relations entre le patriarche Cyrille de Russie et Vladimir Poutine, l’invité du 16/17 était Sergueï Jirnov, ancien agent du KGB. L’occasion de revenir avec lui sur sa fiction, mais surtout sur la réalité qui se cache derrière. Même si les relations entre l’Église orthodoxe russe et le Kremlin peuvent paraitre douces, les deux seraient à la tête d’un réseau d’espionnage, se bataillant le pouvoir spirituel et temporel.
Des médias suisses l’ont révélé il y a quelques mois, le patriarche Kirill a travaillé pour le KGB lors de ses déplacements en Suisse. Une fiche avait été établie par la police fédérale. Pour Sergueï Jirnov, c’est un secret de polichinelle. "Tous les prélats qui voyageaient à l'étranger pour les congrès pacifistes, l'autorisation était donnée par le Parti communiste et le KGB. Donc s'ils leur donnaient l'autorisation, c'est qu'ils contrôlaient ces personnes."
Sergueï précise qu’à la dislocation de l’URSS, notamment dans les pays baltes, les archives du KGB ont été ouvertes, et que l’on peut affirmer avec 95% d’assurance que le Patriarche Kirill est la personne sous le pseudonyme Mikhaïlov.
Pour l’ancien membre du KGB, l’Église orthodoxe russe est aussi un véritable réseau de renseignements. Si toutes les structures religieuses accueillent des échanges d’informations partout dans le monde, l’Église orthodoxe russe a un service d’espionnage, le département international. Des officiers de carrière au KGB feraient partie de ce bureau.
C'est une église très particulière, où on prend des gamins, et au lieu de leur apprendre la Bible et la paix, et tout ce qui est pacifiste dans la Bible, on leur apprend à tirer sur des êtres comme eux.
Si Sergueï Jirnov ne porte pas Vladimir Poutine dans son cœur, le patriarche russe, Vladimir Mikhaïlovitch Goundiaïev de son vrai nom, n’est pas épargné par la critique. Si le premier est qualifié de médiocre et le second de brillant, tous les deux sont des “salauds”, pour l’ex-agent.
Kirill, franchement, je peux dire que je ne le considère même pas comme un croyant. J'ai beaucoup de doutes qu'un personnage qui puisse donner sa bénédiction à une guerre fratricide, à une guerre contre les frères de confession, pour moi ce n’est pas un bon prêtre, et ce n'est quasiment pas un chrétien.
"Et Poutine particulièrement, parce que je trouve que c'est un arriviste qui s'est retrouvé à la tête de l'État nucléaire en quelques années. Il est arrivé par le hasard, parce qu'il a plu au président Boris Eltsine et à son entourage, surtout à sa fille Tatiana."
Si les deux têtes russes semblent se soutenir, il s’agirait d’un jeu caché, les deux se livrant une féroce concurrence. Si l’Église orthodoxe russe est historiquement un soutien au pouvoir, le patriarche Kirill voudrait faire de l'Église orthodoxe le centre idéologique de Russie, et lui se rêve en grand idéologue. Mais aujourd’hui, la Russie n’est plus un pays croyant, après 70 ans de communisme où la religion était poursuivie et massacrée. Vladimir Poutine n’a pas non plus besoin de cette croyance.
Poutine a besoin de Kirill pour plus ou moins manipuler les croyants aussi, mais en réalité, sa seule vraie croyance, c'est lui-même.
"C'est un régime autoritaire, voire qui tombe à devenir une dictature, et Poutine n'a pas besoin d'idéologie, c'est lui l'idéologie. C'est pour ça que l’on parle de poutinisme, et que l’on ne parle pas de poutinisme orthodoxe ou d'orthodoxie poutiniste. Avec le réseau de l'Église, Kirill possède quand même une structure quasiment étatique, répandue dans toutes les strates de la société. C'est un homme puissant aussi à l'intérieur du pays, donc Poutine est obligé de compter avec lui."
Pour l’ex-espion russe, il est avéré que Poutine n'est pas un croyant. Il serait superstitieux et craint qu'il y ait quelque chose au-delà. Il ne croit pas en quelque chose dans le sens positif, en substance, qu'on peut nommer Dieu. "En fait, il voudrait garder sa chance qu'il a eue à partir des années 1990. Il a d’abord misé sur l'Église. Les patriarches, même Alexis II, n'étaient pas dupes par rapport à ça. Et je crois que même Kirill à un moment donné a dit une phrase assez assassine. Quand il a compris que l'Église lui demandait en fait la vraie croyance, il cherche d'autres sources afin de se rassurer. Dernièrement, il est devenu adepte et tout le Kremlin avec lui. Ils sont maintenant plongés dans un mysticisme."
Pour l’auteur, le public n’aurait pas cru un tel récit si on l’avait présenté comme réel. Le genre documentaire exigerait également des sources fiables pour chaque affirmation, chose qui semble compliquée au vu de tout ce qui est avancé dans “Les pires amis”. Si c’est une protection pour Sergueï, cela lui permet aussi de froncer les traits, et d’intriguer le lecteur.
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