Si l’Église catholique est encore très loin d’aller vers des positions antispécistes, la réflexion théologique peut nous permettre d'avancer. Le jésuite Éric Charmetant, philosophe et professeur de philosophie au Centre Sèvres (Paris), nous aide à sortir de cette opposition frontale entre spécisme et antispécisme.
Les animaux ont-ils leur place dans le salut prévu par Dieu ? "Je pense que oui, répond Éric Charmetant, si on prend au sérieux cette alliance noachique", c'est-à-dire de Dieu avec Noé et tous ses animaux dans la Genèse. "Dans cette nouvelle alliance, les animaux font partie de l’alliance à côté de l’être humain." On en trouve des échos dans le Psaume 35 : "Tu sauves, Seigneur, l'homme et les bêtes." (Ps 35, 7) Si les créatures ont une place pour Dieu, pourquoi seraient-elle exclues du salut ?
On peut aussi avoir une interprétation plus personnelle du salut, considère Éric Charmetant, car on sait aujourd'hui que certains animaux ont une conscience d’eux-mêmes, sont capables d’avoir des formes de cultures… "Se dire qu’il y a une relation mystérieuse de Dieu avec ces animaux : c’est difficile d’imaginer quelle est cette forme, mais en tout cas que si c’est quelque chose qui compte pour Dieu, les animaux aussi ont place à la résurrection."
Spéciste ou antispéciste ? Si l’Église catholique "est encore très loin d’aller vers des positions antispécistes", selon Éric Charmetant, la réflexion théologique peut nous permettre d'avancer. En tout cas, "il faut sortir de cette opposition frontale entre spécisme et antispécisme", selon le jésuite. L’antispécisme est un courant de pensée qui considère que l’être humain n’est qu’un être vivant parmi les autres et qu’il doit vivre à égalité de statut avec les animaux. À l’inverse, la vision spéciste considère qu’il y aurait des droits particuliers liés à la simple appartenance à l’espèce humaine et que tous les autres êtres vivants ont les mêmes droits, sans distinction entre les espèces.
"On peut quand même se rendre en compte des devoirs qu’on a envers les animaux", suggère Éric Charmetant pour sortir de cette opposition entre spécisme et antispécisme. "Quand on considère le gaspillage des vies animales, la maltraitance des animaux, il y a des choses à faire bouger." Par ailleurs, cela n’empêche pas que nous avons, nous humains, des devoirs particuliers envers les gens de notre espèce. Ainsi, en cas de conflit entre vie humaine et vie animale, même un penseur comme Arne Næss, philosophe norvégien, inventeur de l’écologie profonde, préfère sauver le petit d'homme plutôt que l’animal !
Certains chrétiens s’inquiètent de voir des responsables écologiques manifester plus d’égards et d’intérêt pour les animaux que pour les embryons humains. Ainsi Peter Singer, l’un des penseurs de l’antispécisme et auteur de "La Libération animale" (1975), qui a suscité la controverse en établissant une hiérarchie entre les chimpanzés qui seraient des personnes, et les êtres humains handicapés qui ne seraient plus des personnes, d'après Éric Charmetant. "Cette manière de penser est une impasse", selon le jésuite, qui invite à la sagesse et à la prudence et à la réévaluation des liens entre les animaux et les êtres humains.
Si l’on veut dresser un parallèle entre éthique animale et éthique médicale, et si on veut aller au fond des réflexions, "on s’aperçoit que c’est important de faire exister des conditions environnementales et sociétales qui permettent aux personnes handicapées de pouvoir exprimer une forme d’autonomie ou une forme de désir". D’un autre côté, avec l’éthologie théologique et la question de la subjectivité animale, on s’intéresse au mieux-être des animaux, surtout les animaux d’élevage. Il peut y avoir "une forme de parallélisme d’enrichissement mutuel pour mieux prendre en compte et mieux aider les personnes handicapées et prendre en compte les vies animales ".
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