Vivre connecté et rester humain

 

Un outil numérique capable d’écrire un haïku, une lettre d’amour ou un devoir de physique de classe prépa… Depuis plusieurs mois, ChatGPT est le dernier outil dont tout le monde parle. Et ce qui fascine le plus aujourd’hui dans le numérique c'est tout ce qui touche à l’intelligence artificielle. "Je pense que ce qui est vraiment fondamental avec ce genre d’innovations comme ChatGPT, estime Charleyne Biondi, chercheuse en sciences politiques, c’est plutôt le champ plus large de l’intelligence artificielle générative qui pose une nouvelle question presque d’ordre philosophique à la technique. Finalement la technologie pourrait faire ce qu’on la croyait incapable de faire, c’est-à-dire créer de toutes pièces, imaginer un contenu qui n’avait existé auparavant." Jusqu'où le numérique va-t-il transformer notre société ? Peut-il changer l'être humain ? Peut-on vivre connecté et rester humain ?"

 

 

 

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Colloque "Numérique : anti / accro, trouver sa voie"

RCF et le Collège des Bernardins ont organisé, le 1er février 2023, une journée de réflexion sur l'impact du numérique dans nos vies, sur le thème : "Numérique : anti / accro, trouver sa voie". C'est dans ce cadre que Stéphanie Gallet, rédactrice en chef Culture RCF, a rencontré Charleyne Biondi, chercheuse en sciences politiques auteure de "Dé-coder - Une contre-histoire du numérique" (éd. Bouquins, 2022), sur le thème : "Vivre connecté et rester humain ?"

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Peut-on vivre connecté et rester humain ?

 

Si l'on englobe la connotation positive liée au terme "humain", la question peut laisser sous-entendre que les outils numériques ont quelque chose de profondément néfaste. Or, on ne peut pas dire qu’ils sont parfaitement bénéfiques ou entièrement mauvais. Si "en Iran, TikTok devient un outil essentiel de la résistance", comme le souligne Charleyne Biondi, on ne peut négliger le rôle des réseaux sociaux dans l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2022 par les supporters de Donald Trump, grave atteinte à la démocratie. "C’est toute la difficulté de ce sujet numérique, c’est l’inévitable, l’irréductible ambiguïté de cette technologie, admet la chercheuse, il reste une qualité pas forcément mauvaise au réseau social, qui est de pouvoir mettre les gens en relations, ça fait un peu de mal de le dire mais il faut bien le reconnaître..."

 

On dit souvent que les écrans nous empêchent de réfléchir. Les outils numériques vont-ils nous rendre bêtes ? La technologie peut-elle à ce point modifier la nature humaine ? "Je pense que non, répond Charleyne Biondi, il y a aucune preuve qui nous indique que l’homme numérique serait fondamentalement nouveau." Pour la chercheuse en sciences politiques, ce que la technologie numérique "transforme", c’est "notre perception du monde" et "la façon dont on interagit avec le monde et dont on le comprend".

 

La technologie numérique, une infiltration dans la sphère de l'intime

 

Dire que la technique transforme le monde social, c’est certain et même "banal", rappelle la chercheuse. Ce que l’on ne sait pas en revanche c’est le type d’organisation sociale vers lequel se dirige notre société hyperconnectée. "Pour la première fois, on a une technologie qui ne règle plus seulement les rapports de force économiques de la société mais qui vient s’infiltrer dans ce qu’il y a de plus intime." Le numérique s’immisce dans les pans de la vie privée des individus : leur façon d’aimer, de penser, d’interagir avec les autres, y compris "la façon de se représenter soi-même", note Charleyne Biondi. "Cette insertion du numérique - je parle de filtre signifiant -, elle a un sens, elle n’est pas entièrement neutre. C’est ce qui fait qu’on ne peut pas aujourd’hui penser l’impact du numérique commun un outil technique, il est autre chose."

 

 

 

Les hommes ne donnent plus le même sens aux mots les plus impressionnants, comme le mot de liberté

 

 

 

L'impact politique des outils numériques

 

La chercheuse parle de "crise d’identité" provoquée par les outils numériques. "Savoir qui on est, être capable de se dire, de se raconter à l’autre : c’est là que la technologie numérique crée un vrai problème parce qu'elle a transformé les choses et on n’a pas encore les mots pour le dire." De façon silencieuse, la technologie omniprésente agit comme un "filtre entre l’homme et le monde" et ce faisant, vient transformer en profondeur "notre rapport au monde, notre façon d’être au monde" et "notre perception des choses". Ainsi, "les hommes ne donnent plus le même sens aux mots les plus impressionnants, comme le mot de liberté".

 

"Cette nouvelle société, ce nouveau rapport au monde qui se dessine à travers les usages de la technologie rend ces institutions qui nous gouvernent, ces grandes idées qui nous gouvernent, qui sont les piliers conceptuels fondamentaux de la démocratie libérale dans laquelle on vit, potentiellement anachroniques." Dans un monde "réglé par des concepts plus anciens que le numérique", on vit dans une société qui ne ressemble plus à ceux qui l’organisent. D'où cette crise qui frappe les sociétés occidentales. "Il y a un lien très profond et essentiel entre la transformation numérique et la crise de sens - qui est une crise politique - qu’on est en train de vivre en Occident."