Vous connaissez ce moment où votre ordinateur enchaîne les bugs et les plantages et où, pour le faire fonctionner quand même vous démarrez ce que l'on appelle le mode "sans échec" ? C'est exactement ce qui vient de se passer avec notre démocratie. Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ont vu se multiplier les messages d'erreur sur la réforme des retraites. Continuer ou annuler ?
Contraint par une majorité (très) relative et une opinion publique (très) défavorable, mais refusant de prendre le risque d’échouer, le gouvernement a donc fini, jeudi 16 mars, par recourir au fameux article 49 alinéa 3 de la Constitution. 100e utilisation d'une disposition déjà impopulaire qui n'améliore par vraiment sa réputation au passage. Valider un texte qui n’aura jamais été voté à l’Assemblée nationale… quoi qu’on en pense sur le fond.
Est-ce que le 49.3 est antidémocratique ? Certainement pas. Le prétendre, ce n’est pas honnête. En revanche, force est de constater que, dans l’examen de cette réforme, l’exécutif a accumulé de façon déraisonnable, et difficilement défendable, les outils à sa disposition : en limitant la durée des débats, en usant d’un vote bloqué au Sénat et finalement en engageant la responsabilité du gouvernement. Quitte à frôler le renversement et, surtout, à cristalliser la colère dans la rue.
Amère conclusion d'une séquence désagréable au point même de se demander si nos institutions ne fonctionnent pas trop bien... Au point même de se demander si nos institutions ne fonctionnent pas "trop" bien. Je reprends la métaphore informatique : par crainte du crash sur un projet aussi symbolique, Emmanuel Macron a fait tourner la machine législative en mode "sans échec" – cette façon de lancer un système d’exploitation en ne laissant fonctionner qu’un nombre limité de programmes, afin d’éviter les bugs. Redisons-le : il en a le droit. Mais à la longue, toutes les manœuvres et tous les jeux de procédure autour des retraites entachent la légitimité d’un texte adopté contre l’opinion, contre les syndicats et sans vote à l’Assemblée.
Et la répétition des 49.3 abîme la confiance. Elle fragilise notre modèle démocratique. Cette stratégie, certes efficace, du "moi ou le chaos" porte aussi le risque de laisser se développer un virus encore plus préoccupant, surtout quand on se veut l’incarnation de la raison, des valeurs républicaines et le rempart contre les extrêmes.
On se souvient pourtant que lors de sa réélection, il y a moins d’un an face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron avait alors affirmé : "Ce vote m’oblige." Le président actait aussi que les circonstances l’engageaient à rassembler et chercher des compromis – ce que les résultats des législatives d'ailleurs sont venus confirmer un mois plus tard. Or, sur une question aussi sensible que les retraites, la recherche du compromis a-t-elle été franche et approfondie ? Non. Il appartiendra évidemment au Conseil constitutionnel de dire si la "sincérité du débat parlementaire" a été assurée tout au long de cet examen au pas de charge, durant lequel les "jokers" réglementaires se sont accumulés les uns sur les autres.
En attendant, une chose est certaine : l’épisode laissera des traces profondes dans notre vie politique. À force de vouloir contourner les obstacles, le risque est bien de s’engouffrer dans une impasse. N’oublions pas que le mode "sans échec" est, d’abord, un fonctionnement dégradé.
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