Chers amis, j’étais il y a quelques jours à Rome pour des rencontres entre autres avec des membres des dicastères du Saint-Siège, à la suite spécialement de la dernière assemblée générale de la Corref. De belles rencontres avec des femmes et des hommes engagés et généreux. Une fois de plus il était surtout question des abus et des agressions sexuelles. "Encore", diront certains, comme si la vie religieuse en France n’était plus capable de penser et de faire autre chose. Comme si elle ne pouvait plus signifier un visage heureux de vivre avec et pour et les femmes et les hommes de ce temps, dans la suite des conseils évangéliques.
Nous sommes très nombreux à pouvoir témoigner en vérité de ce visage lumineux de la vie religieuse. Mais voilà, le drame et le scandale de l’ensemble des abus et des agressions sexuelles n’est pas un dossier que l’on ferme, en bonne conscience d’avoir fait ce qu’il fallait. Prendre au sérieux le caractère systémique c’est rendre compte que tout se tient. On ne peut penser lutter contre ces fléaux uniquement avec des mesures préventives, aussi vitales soient-elles. C’est l’ensemble de notre vie qui doit être relue au regard de ces crimes, des vies dévastées, afin de repérer ce qui doit être revisité, réinterprété, transformé. De même que l’entre-soi est facteur de risque d’abus autant que d’aveuglement sur les abus, nous empêchant de voir ce qui doit être vu.
Mais cette lutte contre l’entre-soi est, je le crois de toute mon âme, aussi et sans doute d’abord un enjeu évangélique. Le Nouveau Testament ne cesse de nous apprendre que Jésus va ailleurs. Accueillant femmes et pécheurs, manifestant que c’est un enfant qui est son alter ego, se laissant toucher… Et sortant d’un tombeau pour quitter Jérusalem et se retrouver en Galilée.
Alors oui, à travers cette si douloureuse question des abus et des violences sexuelles, c’est de l’Évangile dont il s’agit pour la vie religieuse et bien au-delà d’elle. Reste une question première : si nous ne faisons pas en notre chair l’expérience de la déflagration provoquée par la résonance de l’écoute et du compagnonnage avec qui a été floué, violenté, humilié, nous ne comprenons pas ce qui se passe. Et nous continuons à dire que "ça va bien", qu’il faut passer à autre chose de plus "positif", "joyeux"...
Je ne sais quelle est cette alchimie : mais sans l’ébranlement des certitudes, des repères même, cette écoute ne peut se faire implication, prise de partie, décision. C’est à jamais, je crois, que nous sommes changés. Peut-être est-ce d’éprouver la profondeur du mal, la terreur qu’il impose, la multiplicité de ses ramifications qui fait cette expérience et l’obligation éthique comme spirituelle de ne rien laisser de côté. Je ne sais s’il faut souhaiter cela à certains de nos interlocuteurs, car ce n’est pas sans souffrance, ni sans questions abyssales. Mais peut-être que le chemin de l’Évangile est aujourd’hui à ce prix dans notre Église.
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