LA CHRONIQUE D'ANNE PLOUY - Le 15 mars 2004, a été adoptée la loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. C’est une loi sur laquelle on raconte tout et n’importe quoi et qui a eu un impact important sur la laïcité. Je voudrais vous expliquer l’une des analyses régulière qui en est faite : on dit que la loi de 2004 est le début d’une nouvelle laïcité.
Il faut savoir que la laïcisation de l’école précède 1905. En effet, l’école est l’un des premiers lieux où la question de l’interaction entre le savoir et les croyances est identifiée.
Il faut rappeler à ce sujet que les lois votées dans les années 1880 pour mettre en place la laïcité de l’école publique ne prévoyaient aucune mesure concernant les élèves. Elles organisaient une laïcisation des programmes, des locaux et du personnel enseignant. Les élèves, de leur côté, sont libres de manifester leurs croyances. La loi de 2004 vient ensuite comme une exception à la laïcité, une exception à la liberté de religion dans l’objectif de protéger les élèves des tentatives de prosélytisme religieux.
Comme le dit Jean Baubérot qui est un historien et sociologue français, fondateur de la sociologie de la laïcité : la loi de 2004 marque le début d’un glissement de la neutralité arbitrale de l’État vers des mesures de neutralisation vestimentaire d’individus. Je rappelle ce que Briand avait énoncé en 1905 : aux yeux de l’État laïque, la tenue des prêtres, la soutane, "est un vêtement comme un autre". Cela signifie que la laïcité normalement ne se préoccupe pas de savoir si un vêtement est religieux ou non, car un vêtement est de l’ordre du réversible. Ainsi, à partir de 2004, une "nouvelle laïcité" qui tourne le dos à la laïcité historique prend place dans le narratif médiatique et s’installe petit à petit dans le droit.
Sur ce sujet, il y a pas mal d’opinions diverses et de plus en plus de profs prennent la parole pour expliquer les enjeux rencontrés tous les jours. C’est l’exemple de Camille Taillefer que vous pouvez retrouver avec le podcast Tenue Laïque Exigée sur Arte Radio, qui insiste sur le fait que l’école doit être un lieu de respect, d’apprentissage de l’esprit critique et qu’un espace de liberté est important pour cela.
Ainsi, l’interdiction pure et simple est aujourd’hui un échec. Elle rappelle que si on veut que l’objectif soit atteint, que chaque élève puisse décider qui il ou elle est en dehors des pressions. Il s’agit donc de dépasser cet échec, d’explorer ensemble la question de la laïcité, plutôt que de "rappeler à la loi", il s’agit d’engager une construction éducative.
Comment voulez-vous que les élèves comprennent quand il y a des traitements à géométrie variable sur des situations identiques. Je me réfère par exemple à la différence de traitement entre les lycées Stanislas, un lycée catholique sous contrat et le lycée et Averroès, lycée musulman sous contrat.
Bien sûr c’est un sujet complexe, qui demande du temps long, discussions et des remises en question régulières. La chose dont je suis certaine pour l’avoir expérimenté est que de reconnaître les différences, que de rencontrer l’altérité, sans pression sur qui tu es, permet de s’émanciper des pressions de groupe et de communauté. Mais que cela est compliqué à faire si on gomme toutes les différences.
Ma conviction profonde est que pour bâtir du commun avec pragmatisme et intelligence, il faut avoir conscience des différences, il faut inventer des mécanismes dans lesquels tout le monde se sent inclus. Et la laïcité, ce principe juridique d’organisation du fait religieux, avait été pensé comme cela. Cela pourrait être intéressant de lui redonner son essence afin de mettre nos diversités au service de notre unité.
Une nouvelle chronique pour déconstruire les préjugés.
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