"Courir ou mourir". Stacy Algrain se désole d'une société qui "nous aurait condamnés à nous lancer dans une quête sans fin", une société tournée vers la seule accumulation de richesses matérielles. Et pourtant, on peut être riche de tellement d'autres choses, affirme la jeune chroniqueuse.
Autour de moi, tout le monde semble courir après l’argent. J’ai parfois l’impression d’être enfermée dans une société remplie de marathoniens. Dans ce drôle de rêve éveillé, je suis au milieu d’une rue parisienne. Immobile, encerclée par les immeubles haussmanniens, les visages défilent autour de moi. Les foulées s’allongent. Les souffles se font courts. Sur le bas côté, les coachs s'époumonent. Il faudrait accélérer la cadence, être plus performant. Le chrono est enclenché depuis ce qui semble être une éternité. C’est une course contre la montre. De celles où le compteur serait greffé à notre poignet.
Et justement, tous ces corps en mouvement ne cessent de scruter ce minuscule cadran. Je me dis que c’est dommage. Car quitte à courir, autant profiter des paysages non ? Je me demande s’ils ont même conscience d’appartenir à cette masse. Une jeune femme frôle un viellard, s’excuse rapidement. Il faut continuer à courir. Ce vieillard, c’est le doyen du marathon. 94 ans, incapable de s’arrêter.
Courir ou mourir ! S’il s’arrête, c’est foutu vous comprenez. Pourquoi ? Et bien c’est simple : ici tout a un prix. La paix, la liberté, le bonheur, la retraite, prenez votre ticket. Son corps et sa tête ne connaissent plus que ça. Ils reproduisent une série de mouvements. Le tout en est devenu mécanique. Avec un sourire, il me dit qu’il y est presque. Encore un peu et c’est bon. Je tente d’attraper sa main. Je voudrais le retenir encore quelques instants, mémoriser les contours de son visage et les tonalités chantantes de sa voix. Mais voilà que lui aussi m’échappe… Cette scène au goût de déjà vu, me glace le sang…
C’est celle d’une histoire qui se répète. Notre société nous aurait condamnés à nous lancer dans une quête sans fin. Dans la mythologie, Sisyphe doit faire rouler éternellement un rocher au sommet d'une colline. Arrivé en haut, le rocher dégringole à nouveau. Pour nous, humbles humains dans une société capitaliste, la tâche serait de construire sa fortune. Devenir riche, avoir de la thune, faire de l’oseille, beaucoup de mots pour finalement définir la même chose : l’accumulation de richesses. Financières ou matérielles, billets de banque ou voiture de luxe, être riche ça se mesurerait uniquement avec une calculatrice.
Pourtant, on peut être riche sans en avoir l’impression. Ça vaut pour les personnes qui vivent seules et gagnent 3673 euros par mois après impôts, pour les couples sans enfants avec 5500 euros. Demandez-leur s’ils sont riches, ils vous répondront sûrement que c’est loin d’être le cas.
Alors avec tous ces problèmes d’appréciation de son statut, de son positionnement dans la société, j’ai moi aussi longtemps cru que j’étais totalement fauchée. Bon évidemment, si vous prêtez attention à mon compte en banque, vous conclurez peut-être que je n’avais pas tort.
Mais si vous changiez vos lunettes, vous pourriez voir que rien que cette semaine, j’ai ri aux éclats des dizaines de fois, entendu la voix de ma mère chaque soir avant d’aller me coucher, contemplé 4 couchers de soleil, senti la chaleur du printemps sur mes joues et l’herbe mouillée entre mes orteils, écouté "Échappées belles" de Chien noir en boucle pendant des heures, souri en parlant des océans devant une salle pleine d’inconnus…
Non, ça ne paiera pas mon loyer. C’est certain. Mais, je dois vous avouer quelque chose… J’ai toujours détesté courir.
Jeunes de la "génération climat", Féris Barkat, 20 ans et Stacy Algrain, 23 ans livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
Jeunes de la "génération climat", Alexandre Poidatz et Stacy Algrain livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
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