Alpes-Maritimes
LE POINT DE VUE DE CLOTILDE BROSSOLLET - Depuis moins d’une semaine, la France a un nouveau Premier ministre en la personne de François Bayrou. Tandis qu’il s’attèle à constituer un gouvernement, l’actualité, notamment le chaos laissé par le passage du cyclone Chido à Mayotte, exige une certaine continuité de l’État, assurée pour l’instant par les ministres démissionnaires. Les députés, quant à eux, viennent tout juste de voter le projet de loi visant à garantir le fonctionnement du pays en attendant le budget 2025, qui, lui, ne sera pas adopté à temps pour la nouvelle année.
S’il est bien connu qu’un président fraîchement élu bénéficie d’un état de grâce de cent jours, les premiers pas d’un nouveau Premier ministre sont souvent bien plus délicats, surtout dans la situation actuelle.
Rappelez-vous : Michel Barnier, lors de son passage à Matignon, a dû affronter l’urgence de boucler un budget dans un contexte de déficit abyssal, sous la menace constante d’une motion de censure. Depuis son départ, la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire : elle s’est aggravée. Sa chute a renforcé la fragmentation de l’Assemblée nationale et rendu encore plus difficile la recherche d’une majorité.
Pour François Bayrou, il n’est donc plus possible de rejouer les mêmes cartes. Le nouveau locataire de Matignon doit élargir sa base gouvernementale en allant chercher des soutiens sur sa gauche. S’il veut éviter un mandat précaire, il doit rendre impossible toute nouvelle motion de censure en fracturant le Nouveau Front Populaire et en s’assurant du soutien des socialistes, qui se montrent pour l’instant réticents. Si la loi spéciale autorise l’État à percevoir les impôts existants et à reconduire les dépenses au niveau de 2024, cette disposition n’est que temporaire. Le gouvernement devra rapidement trouver une majorité pour voter le budget 2025. Faute de quoi, il sera contraint de recourir au 49.3, avec le risque d’une nouvelle motion de censure. La chute du précédent gouvernement et la nomination d’un nouveau n’ont en rien résolu la crise institutionnelle.
Face à une situation marquée par l’urgence humanitaire à Mayotte et les graves difficultés économiques et sociales du pays, il faut soit un sens du service jusqu’au sacrifice, soit une ambition démesurée pour prétendre à la fonction de Premier ministre aujourd’hui. Ce week-end, les journalistes politiques se sont relayés pour dresser le portrait de François Bayrou, et rares ont été les éloges. Tous s’accordent à souligner son ambition personnelle et son obsession assumée de devenir un jour Président de la République.
Son projet politique s’est toujours limité à son propre désir d’accéder à la magistrature suprême.
Sur les réseaux sociaux, certains ont exhumé un passage de Soumission de Michel Houellebecq : "Son projet politique s’est toujours limité à son propre désir d’accéder à la magistrature suprême." Ce passage résonne étrangement avec les propos de Simone Veil dans son autobiographie Une vie : "Le personnage demeure incompréhensible si l’on ne tient pas compte de cette donnée essentielle : il est convaincu qu’il a été touché par le doigt de Dieu pour devenir président."
Mais en politique, ce ne sont ni les discours ni les réputations qui comptent : c’est l’action. Et là, François Bayrou a péché, par maladresse peut-être, mais surtout par orgueil. En moins de trois jours, il a commis une erreur stratégique majeure. Au lieu de se rendre à Mayotte pour une réunion de crise après le passage du cyclone Chido, François Bayrou a choisi de participer en visioconférence afin de ne pas manquer le conseil municipal de Pau, où il entend rester maire. Lors de son explication devant les députés, il a commis une nouvelle maladresse en laissant entendre que Mayotte n’appartenait pas pleinement au territoire national. Une erreur politique lourde de conséquences.
Comme l’a souligné le politologue Jérôme Jaffré, cette bévue met en lumière les fragilités de sa majorité. Elle a également entraîné une critique publique de la part de la présidente de l’Assemblée nationale, une situation rarissime. Pendant ce temps, Bruno Retailleau s’est rendu sur place, incarnant l’État dans l’urgence, et Emmanuel Macron a décrété un deuil national, symbolisant la Nation. François Bayrou, lui, est apparu non seulement suffisant, mais surtout inutile. Pire encore, son absence envoie un message désastreux : il semble détaché de la situation et incapable d’en saisir l’ampleur. Le fait qu’aucun des 44 points à l’ordre du jour du conseil municipal de Pau n’imposait une réunion à cette date n’a fait qu’amplifier les critiques. L’opinion publique ne retiendra qu’une seule chose : alors que les Mahorais, ses concitoyens, faisaient face à une catastrophe d’une ampleur inédite, François Bayrou a utilisé un Falcon de la République pour se rendre à Pau et présider un conseil municipal.
Des chroniqueurs d'horizons variés nous livrent leur regard sur l'actualité chaque matin à 7h20, dans la matinale.
- Le lundi : Stéphane Vernay, directeur de la rédaction de Ouest-France à Paris, et Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La revue politique et parlementaire ;
- Le mardi : Corinne Bitaud, agronome et théologienne protestante, et Marie-Hélène Lafage, consultante en transition écologique auprès des collectivités territoriales ;
- Le mercredi : Clotilde Brossollet, éditrice, et Pierre Durieux, essayiste ;
- Le jeudi : Antoine-Marie Izoard, directeur de la rédaction de Famille chrétienne ; Aymeric Christensen, directeur de la rédaction de La Vie ;
- Le vendredi : Blanche Streb, essayiste, chroniqueuse, docteur en pharmacie, auteure de "Grâce à l’émerveillement" (éd. Salvator, 2023), "Éclats de vie" (éd. Emmanuel, 2019) et "Bébés sur mesure - Le monde des meilleurs" (éd. Artège, 2018), et Elisabeth Walbaum, Déléguée à la vie spirituelle à la Fédération de l'Entraide Protestante.
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