Théologien, philosophe, formé à la psychanalyse, le Père Maurice Bellet est mort ce jeudi 5 avril à Paris, à l'âge de 94 ans. En 2010, il accordait un entretien à Béatrice Soltner, où il se confiait sur sa vocation de prêtre, son enfance "qui n'a pas été malheureuse" mais "assez pauvre", sur sa jeunesse marquée par la Shoah et le drame de la Seconde Guerre mondiale. Sans être "anti-moderniste", il posait un regard sans concession sur le monde moderne. Maurice Bellet aura été de ceux qui n'auront cessé de nous interpeller sur les dangers de notre économie actuelle.
"Je crois que nos contemporains, parmi les gens plus jeunes que moi, n'ont je pense aucune idée de ce que c'est de vivre sous un régime totalitaire..." Né en 1923, Maurice Bellet avait un souvenir précis de l'occupation. "C'est quelque chose d'effrayant d'être dans un régime totalitaire." Il se souvenait de "l'insécurité permanente", de la "méfiance généralisée", même s'il disait ne pas avoir "connu le pire".
Conscient que cela pouvait choquer, Maurice Bellet confiait n'avoir découvert la Shoah qu'à la fin de la guerre. "Je me revois en 1944 ou 45 peut-être, débouchant boulevard des Italiens à Paris et voyant les premières photos qui arrivaient des camps de concentration et demeurant hébété." Le théologien avait tiré des leçons de cet aveuglement collectif : pourquoi "le plus grand nombre" n'ont pas vu cette "horreur" de la guerre "dans son épaisseur"? "C'est très difficile quand on est pris dans un événement collectif de savoir vraiment ce qu'on vit."
Maurice Bellet n'a eu de cesse de dénoncer les idéologies du XXè siècle : le nazisme, le soviétisme, mais aussi l'économie du XXè siècle. "Dénoncer les système nazi et soviétique c'est à la portée de tout le monde, ils sont morts." Mais dénoncer le système dans lequel on vit, avec tout ce que cela suppose de remise en question, voilà qui est autrement plus difficile.
"Je ne suis pas anti-moderne", disait-il. Et même quel sens le terme peut-il avoir puisque "on est tous dedans". Sans ignorer les "progrès fulgurants" du monde moderne et les bienfaits qu'ils apportent, le théologien nous prévenait : "Ces progrès portent en eux un danger, et si ce danger, on n'a pas le courage de lutter contre, ce qui est progrès peut tourner en catastrophe." Ce à quoi invitait Maurice Bellet, c'est à exercer, "un double jugement". "Être capable d'apprécier tout ce qui peut se faire de beau et de grand mais en même temps être capable d'un jugement critique qui peut être extrêmement dur."
Pour un chrétien, quel regard porter sur le monde? Sur nos contemporains? "Notre monde, c'est les gens, disait-il, il convient de les aimer au sens évangélique du terme." Et pour "avoir une attitude positive" envers les autres, Maurice Bellet rappelait la nécessité de "ne pas les juger, ne pas les condamner, ne pas les exclure, ne pas travailler à leur ruine..." Et "espérer quelque fois contre toute espérance que tout être humain a une possibilité de vivre, avoir du respect même pour l'idiot, le crétin, le pédophile, le déviant".
L'Évangile, donc, en réponse à un monde qui menace de destruction l'être humain. Maurice Bellet, qui était formé à la psychanalyse, disait ceci : "Ce n'est pas un hasard si la dépression est la maladie à la mode.... Les gens sont saisis par la tristesse, un sentiment de néant, de chaos intérieur, quelque chose que notre société, produite, sécrète." Et engageait chacun à "se défendre" de ce qui dans notre société "travaille à la destruction". "Ce qui a caractérisé le nazisme, le soviétisme, et ce qui peut caractériser tout un aspect de notre société c'est que ça travaille à la destruction de l'être humain. Et vous savez qu'il y a mot hébreu pour dire la destruction, c'est shoah".
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