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Christine Pedotti : "Dans le deuil, mes souvenirs sont devenus mémoire"

RCF, le 17 janvier 2023 - Modifié le 22 janvier 2023
TémoinChristine Pedotti : "Dans le deuil, mes souvenirs sont devenus mémoire"

La mort de son mari, bien que soudaine et brutale, n'a pas entamé la foi de Christine Pedotti. Journaliste, écrivaine, militante, cette intellectuelle a dû faire face à quelque chose que sa raison ne pouvait envisager. Petit à petit, au long de son parcours de deuil, elle a pu expérimenter la puissance symbolique des rites. 

"Ce n’est pas Dieu qui a tué Claude. C’est à la biologie qu’il faut demander des comptes, pas au Bon Dieu !" Christine Pedotti ©éditions Albin Michel"Ce n’est pas Dieu qui a tué Claude. C’est à la biologie qu’il faut demander des comptes, pas au Bon Dieu !" Christine Pedotti ©éditions Albin Michel

En avril 2019, Christine Pedotti a brutalement perdu son mari. Elle a cru être anéantie par cette déchirure. Mais pour elle, le travail de deuil a "transformé le souvenir en mémoire". Journaliste, directrice de Témoignage chrétien, cofondatrice avec Anne Soupa du Comité de la jupe et de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (CCBF), Christine Pedotti est une militante chrétienne, une féministe catholique. Le livre qu'elle a publié en mars 2022, "L'inconsolée" (éd. Albin Michel) n'est pas un manifeste ni un essai, c'est un texte très intime, très personnel, sur le deuil. Et un vibrant témoignage de foi.

 

"La mort est mon ennemie toujours et à jamais"

 

La mort de son mari est survenue un matin, de manière très brutale, inattendue. Christine Pedotti se souvient : "J’ai été saisie dans l’heure puisque ce matin d’avril-là où le soleil entrait à flots par la fenêtre de notre chambre, dans notre maison à la campagne, Claude a dit : il fait un temps magnifique, je vais faire le tour du jardin. J’ai attendu quelques minutes, je me suis dit : c’est vrai qu’il fait beau, je vais aller faire du café on le prendra tous les deux au soleil. Quand je suis arrivée en bas dans la maison, j’ai trouvé Claude tombé, je crois qu’il était déjà mort. Je crois qu’il a été foudroyé. Rien ne m’avait alerté, rien ne nous avait alerté. C’est vrai que c’est d’une brutalité absolue."

 

Comment faire après ça "les choses ordinaires de tous les jours" ? Prendre une douche, s’habiller, conduire… "Heureusement on a l’esprit qui se scinde, analyse Christine Pedotti, il y a une part de soi qui n’est pas encore atteinte par la violence, il y a une part qui ne comprend pas et c’est une bénédiction, ça protège." On ne comprend pas non plus comment persiste en soi un désir de vivre. "J’ai compris à quel point ce désir de vivre était à la fois une chose formidable et en même temps une déchirure terrible."

 

Après la mort d'un proche, il nous reste une "énergie vitale" : ce qui sépare celle qui continue à vivre de celui "qui est devenu mort" - "Je dis devenu mort, explique Christine Pedotti, parce que ça a quelque chose d’absolument incompréhensible : comment cet homme qui appartenait à la vie tout à coup la vie s’est retirée ?" Si la journaliste a intitulé son livre témoignage "L’Inconsolée", c’est que "l’incompréhension demeure". "Je ne veux pas me consoler de la mort, la mort est mon ennemie toujours et à jamais. J’ai traversé, je suis réparée, très cabossée mais réparée. Mais rien ne peut consoler de la mort. C’est scandaleux, les gens vivants qu’on aime ne peuvent pas devenir morts !"

 

 

→ À LIRE : Quelles sont les étapes du deuil ?

 

 

Des petits rites pour traverser l'épreuve du deuil

 

Tour à tour écrivaine, journaliste, militante, Christine Pedotti est une intellectuelle. "Moi je suis plutôt quelqu’un qui croit que les choses pour les affronter il faut les comprendre." Avec humilité elle confie : "J’ai découvert que la mort, on ne pouvait pas comprendre, qu’il y a un obstacle absolu à l’intelligence." Dans son livre, elle raconte les petits rites qu’elle a elle-même imaginés pour passer les étapes du deuil. Et notamment la première année, qui est, comme elle le dit, l’année des "plus jamais" : on réalise que l’on ne partira plus en vacances ensemble, qu’on ne fêtera plus Noël ensemble… "J’avais le sentiment que la première année était la plus difficile."

 

Un an jour pour jour après la mort de Claude, son mari, Christine Pedotti a fait "une chose qui peut sembler assez sacrilège à beaucoup de gens qui perdent un époux ou une épouse". Du haut des falaises de Normandie, non loin de chez elle, elle a jeté à la mer leurs alliances. "Je ne les ai pas jetées pour m’en débarrasser, je les ai confiées à cette immensité. À l’immensité du temps." Ce geste était "un signe fort pour dire que j’avais avancé, fait du chemin".

 

Et puis il y a eu un autre rituel : enterrer les objets qui appartenaient à son mari et qu'elle ne pouvait ni jeter ni donner. Christine Pedotti les a mis dans une boîte noire qu'elle a enterrée dans son jardin. Elle y a mis par-dessus un nain de jardin, "comme un hommage à l’esprit totalement baroque de Claude qui allait jusqu’au kitsch… Je l’appelle en riant mon Taj Mahal." Cela peut paraître anodin mais ces rites l’ont "beaucoup aidée". "C’est ça qui est merveilleux dans les rites, ça fait avancer, ça fait passer une étape... Il y a des choses extrêmement puissantes qui opèrent, les rites, ça fait avancer c’est très étonnant à quel point ça sert !"

 

 

Le travail qui se fait intimement dans le deuil c’est celui qui transforme le souvenir en mémoire, c’est peut-être la chose la plus important que j’ai à dire

 

 

Continuer de croire en Dieu après la mort de son mari

 

Il y a eu un autre rituel, la cérémonie des funérailles de Claude, juste avant Pâques, c’était un Lundi saint. "Un immense moment, se souvient Christine Pedotti, un moment d’une grande présence, un événement, très fort, très important." Une façon de célébrer les près de 40 années que le couple a vécues, "40 années d’un lien très puissant, d’une immense conversation ! Nous avons été des gens heureux." Et cela, c’est "une vérité que la mort n’a pas anéantie".

 

La mort de son mari n’a pas fait vaciller la foi de Christine Pedotti. "Ce n’est pas Dieu qui a tué Claude. C’est à la biologie qu’il faut demander des comptes, pas au Bon Dieu !" Certes, la foi n’aide pas quand on se retrouve seule devant "un fauteuil vide" ou "quand on n’a plus l’autre avec qui parler, quand on est une amoureuse sans amoureux". Si la foi ne console pas de l’absence de l’autre, en quoi aide-t-elle le croyant endeuillé ? Pour Christine Pedotti, "les morts ne vont pas néant, ils ne sont pas anéantis. En Dieu rien n’est oublié, rien n’est anéanti."

 

Plus de trois ans après la mort de son mari, qu’est-ce qui aide Christine Pedotti ? Elle distingue les souvenirs de la mémoire. Aux personnes qui sont dans le deuil, "je veux leur dire que le travail qui se fait intimement dans le deuil c’est celui qui transforme le souvenir en mémoire, c’est peut-être la chose la plus important que j’ai à dire". Pour elle, "la mémoire de Claude c’est une mémoire au présent, un présent heureux : les souvenirs, c’était coupant, acéré comme des épines, j’ai longtemps vécu avec ce hurlement du souvenir. Aujourd’hui je suis dans la mémoire, c’est quelque chose de très doux, de très apaisé de très heureux de très joyeux." En tant que chrétienne, Christine Pedotti a changé de regard sur l’eucharistie. Quand on fait mémoire à la messe du dernier repas du Christ. "Nous faisons mémoire, ce n’est pas un souvenir, c’est quelque chose qui advient au présent, qui est actualisé toujours."

 

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