"Nul n’est prophète en son pays", affirme Jésus dans l’évangile de ce dimanche, alors qu’il est de passage à Nazareth, dans sa région d'origine. C'est devenu un proverbe fréquemment utilisé aujourd'hui. Qui en effet ne s'est jamais senti ignoré ou incompris ! Mais est-ce de cela que Jésus se plaint ?
Évangile du dimanche 7 juillet (Mc 6, 1-6)
Sorti de là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet.
Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
Source : AELF
Ce passage fait suite à un récit où Jésus a accompli deux guérisons aux yeux de tous : il a ressuscité la fille de Jaïre et guérit la femme hémorroïsse. Le texte disait bien combien une foule importante se pressait autour de lui. Au chapitre cinq Jésus était donc "reconnu et fécond dans son pouvoir miraculeux". Il est donc étonnant de voir qu'au chapitre suivant, dans l’évangile de ce dimanche, c’est tout l’inverse. Jésus se trouve ici impuissant et incapable de faire des miracles.
La région natale de Jésus, c’est la Galilée. Une région qui était mal vue par les habitants de Jérusalem. "C’est un lieu qui étaient beaucoup moins accidenté par le relief que la région de Jérusalem, nous dit Michel Quesnel, on y circulait bien davantage. Et il y avait beaucoup plus de populations mélangées. On appelait ça la Galilée des nations, des païens. On y risquait effectivement de croiser des gens qui n’étaient pas juifs."
Jésus était déjà retourné en Galilée. « Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : "Il a perdu la tête". » (Mc 3, 21) peut-on lire au chapitre trois de l’évangile de Marc. Mais vu l’accueil qui lui a été réservé on se demande pourquoi il est revenu dans sa région. "Je pense que c’est relativement normal, estime Michel Quesnel. Vous avez envie d’annoncer quelque chose de nouveau, la prédication du Royaume, bon ça a marché dans pas mal d’endroits, et je crois qu’il a envie de tester l’endroit dont il est originaire."
D’ailleurs, il est dit ici que Jésus enseigne dans la synagogue : c’est donc qu’on lui a proposé de prendre la parole au cours de l’office, signe que Jésus a "une certaine réputation qui le précède", précise le théologien. Au début du texte on peut donc comprendre qu’il n’est pas mal vu par les Juifs de sa région. Qu’est-ce donc qui a tourné court ?
Il est notable de constater d’abord l’étonnement que Jésus suscite chez ceux qui l’écoutent. "On se demande effectivement comment il a pu être aussi instruit." Selon le théologien, Jésus a sans doute vécu une adolescence et le début de l’âge adulte "en étant profondément pénétré de la Bible, en écoutant aussi avec intérêt et en ayant un rapport à l’Écriture juive très personnel". Mais s’il était à ce point pertinent dans sa démonstration, pourquoi n'a-t-il pas été écouté ?
C’est donc un Jésus "impuissant" que décrit Marc, incapable de faire des miracles. Pour Michel Quesnel, si Jésus se trouve ainsi "complètement paralysé à Nazareth", c'est "parce que les gens se posent sur lui les mauvaises questions : D’où cela lui vient-il ?" On ne voit que le charpentier, le fils de Marie… D’une certaine façon Jésus est mis "dans une case". "Et quel que soit ce qu’il puisse dire finalement leurs oreilles sont fermées."
"Nul n’est prophète en son pays" est devenu un proverbe courant aujourd’hui. Et si l’on considère le sort des prophètes du Premier Testament, cela semble vrai ! Mais est-ce la faute du prophète si on ne l'écoute pas ? C'est sa foi qui a permis à la femme hémorroïsse d'être guérie. "Je pense effectivement que la foi de la personne qui est destinataire d'une bienveillance de Jésus est nécessaire pour que le miracle puisse s'opérer, interprète Michel Quesnel. Marc dit cela, et pense cela."
Voilà qui a fait beaucoup parler : dans cet évangile, Jésus est décrit comme "le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon". Jésus avait-il un ou des frères ? Et même des sœurs ? L’Église catholique n’a pas retenu l’hypothèse de frères et sœurs de Jésus car "elle a pensé que Marie était toujours vierge - ce qui n’est pas dans les Évangiles". La tradition chrétienne orientale a retenu une autre hypothèse : Joseph aurait été marié avant d’épouser Marie et aurait eu des enfants d’un premier mariage. "Ce qui n’est pas impossible", nous dit le théologien.
On peut en tout cas noter que Jésus n’a pas recruté ses disciples dans sa famille. "Ce qui est très particulier par rapport aux religions antiques, commente Michel Quesnel. Pensez aux origines de l’islam, aux origines du judaïsme, où le clan familial joue un grand rôle." Au contraire, Jésus a pris des distances par rapport son milieu familial. Sans doute "persuadé" lui-même que nul n’est prophète en son pays…
Peu de nos contemporains connaissent les Évangiles. Ils n'y sont pas hostiles mais ils n'ont plus d'occasion d'y avoir accès. C'est partant de ce constat que, avec l'éclairage d'un bibliste, Béatrice Soltner propose chaque semaine un texte d'Évangile pour qu'il soit entendu (ou réentendu), pour en savourer la nouveauté et faire l'expérience que - si incroyable que ce soit à l'heure de l'instantanéité - cette parole écrite il y a plus de 2.000 ans nous rejoint toujours au plus profond.
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