Patron des artistes, ce frère dominicain a mis en peinture ce qu'il voyait avec les yeux de l'âme.
Il y a un lieu à Rome qui me touche particulièrement, c’est la tombe du bienheureux Fra Angelico que j’ai trouvée un peu par hasard en circulant dans la belle basilique Santa Maria sopra Minerva. Dans cette basilique, tenue depuis des siècles par les Dominicains, se trouve le gisant de sainte Catherine de Sienne, bien visible sous le maître autel. Elle attire tous les regards. C’est une grande sainte, docteur de l’Église. Mais sur la gauche de la nef, presque caché, on trouve une pierre tombale où il est indiqué que se trouve les restes du frère Angélique, Fra Angelico, un génie de la peinture qui a aussi été un saint et qui fait partie, avec Catherine de Sienne et tant d’autres, de ce que j’aime appeler la « grappe » de saint Dominique. Je vais vous raconter son histoire.
On ne connaît pas la date exacte de la naissance de Guido di Pietro, notre futur Fra Angelico. Ce doit être entre 1387 et 1395. On ne sait rien non plus sur ses parents. Par contre, on sait qu’il est né à Vicchio del Mugello, une ville au nord de Florence. Quand la famille déménage à Florence, ils s’installent dans le quartier d’un peintre célèbre de l’époque, le moine Lorenzo Monaco, un artiste siennois encore adepte du style gothique. Le jeune Guido entre très probablement dans l’atelier de Lorenzo Monaco comme apprenti. Là, il apprend les rudiments de la peinture en particulier des miniatures et manifeste rapidement ses talents artistiques. Mais il ressent aussi l’appel à imiter son maître en devenant comme lui dominicain. Avec son frère Benoît, il rejoint donc en 1407 le monastère San Domenico de Fiesole, sur les hauteurs de Florence. C’est un monastère de stricte observance, c’est-à-dire que les moines suivent la règle primitive de saint Dominique. L’entrée au monastère implique un arrêt dans l’apprentissage de la peinture et aussi le sacrifice de la fortune qu’il aurait pu amasser comme artiste doué de son temps. Pendant 5 années, il est formé à la vie dominicaine sans tenir le moindre pinceau. Il prend le nom de Fra Giovanni – frère Jean. Plus tard, on ajoutera à son nom le lieu où il a vécu. Il sera appelé Fra Giovanni da Fiesole, frère Jean de Fiesole.
Il fait ses vœux définitifs vers 1418 et est ordonné prêtre entre 1427 et 1429.
Chez frère Jean, l’artiste et le moine ne font qu’un. Il prie toujours avant de peindre. Il peint souvent à genoux. Il aime répéter que « quiconque fait les choses du Christ, doit être tout entier au Christ. » Il met sa prière en peinture, pourrait-on dire. On a dit de lui qu’il « était si proche du Christ et des saints qu’il pouvait les peindre tels qu’il les percevait en vivant avec eux » ou encore que, par sa peinture, « il donnait à toucher du doigt le mystère de Dieu. »
Vite, la notoriété de frère Jean de Fiesole comme peintre grandit en Italie et il reçoit de nombreuses commandes. L’argent est versé au couvent des dominicains et aux pauvres.
Pendant les années qui suivent, Jean de Fiesole réalisent ses chefs d’œuvre. Je ne vais pas les citer tous. J’accorde une mention spéciale au couvent San Marco à Florence où le peintre travaille entre 1440 et 1450. Il supervise à la demande de Cosme de Médicis la décoration du couvent. Plusieurs chefs d’œuvre lui sont attribués parmi lesquels les fresques de l’Annonciation, un thème qu’il a, toute sa vie, aimé peindre, et une crucifixion avec la présence de saint Dominique. Fra Angelico atteint ici la maturité de son art. Si vous avez un jour l’occasion d’aller à Florence, ne manquez pas de visiter le couvent San Marco qui est devenu un musée national. Dans chaque cellule, il y a une fresque. Ce qui personnellement me touche beaucoup, c’est que toutes ces peintures portent à la prière et à la contemplation. Les tableaux sont simples, lumineux, sans détails excessifs. Tout est orienté vers la contemplation du thème principal. Quand on visite San Marco, on prie à chaque instant de la visite. C’est extraordinaire !
En 1445, le pape Eugène IV qui connaît le frère Jean de Fiesole car il a vécu plusieurs années à Florence lui propose de devenir archevêque de la ville. Frère Jean refuse.
Entre 1446 et 1449, frère Jean de Fiesole est à Rome. Il réside dans le couvent de Santa Maria sopra Minerva, la maison mère de l’ordre des Dominicains, et travaille pour le pape Nicolas V à la décoration de la chapelle Nicoline – cappella Niccolina du nom du pape Nicolas – et de son cabinet de travail.
Il reste supérieur pendant 2 ans. Il reçoit une nouvelle proposition de nomination comme évêque de Florence par le pape Nicolas V qui le connaît bien. Il refuse cette deuxième proposition comme il a refusé la première.
Vers 1452, frère Jean retourne à Rome. Il réalise diverses œuvres entre autres dans la basilique Santa Maria sopra Minerva. Il meurt le 18 février 1455 à Rome et est enterré dans la basilique. Ce n’est qu’après sa mort, en 1469, qu’un autre dominicain, Fra Domenico de Corella l’a surnommé Fra Angelico, le frère angélique. C’est ce nom qui a été adopté très rapidement car il correspondait à la fois au témoignage de vie et à l’œuvre artistique de peintre dominicain. Fra Giovanni da Fiesole, le peintre de génie, est devenu pour le monde entier Fra Angelico. Depuis longtemps, les italiens ont pris l’habitude de l’appeler aussi Beato Angelico, mais c’est seulement le 3 octobre 1982 que saint Jean-Paul II l’a déclaré officiellement bienheureux, et en 1984, patron des artistes, un titre qu’il a mérité tant par la qualité artistique de son art que par sa vie humble et totalement dédiée à Dieu.
Fra Angelico a été un vrai frère prêcheur, c’est-à-dire un frère évangélisateur. Il ne l’a pas fait par la parole mais par l’image. Il a évangélisé en peignant ce que son âme contemplait et il a ainsi transcendé les siècles : aujourd’hui encore, Fra Angelico nous évangélise si nous voulons bien contempler ses œuvres avec les yeux de l’âme.
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