Comment avoir un bureau place saint Pierre en tant que femme belge ? Quel remède au cléricalisme ? Comment vivre en frères et soeurs ? Carine Dequenne est consacrée dans la Communauté de l’Emmanuel et canoniste au dicastère pour la vie consacrée depuis 2009, avec vue sur la place saint Pierre, au coeur de l’Eglise. De passage en Belgique, elle a donné une conférence à Liège sur le thème de la complémentarité des états de vie. Elle se réjouit de l’initiative du pape François d’avoir lancé un synode sur la synodalité, pour écouter le terrain et susciter le dialogue entre frères et soeurs, moteur de la vie du peuple de Dieu.
Née à Bruxelles, Carine Dequenne fut pensionnaire chez les soeurs de Notre-Dame à Arlon. Elle détient un diplôme en droit de saint-Louis et de l’ULB. Alors qu’elle venait d’avoir communié pour la première fois, elle se souvient avoir dit à sa grand-mère qu’elle voulait devenir religieuse. Finalement, elle n’est pas religieuse mais consacrée.
Malgré les efforts de Vatican II, l'Église était restée relativement hiérarchique. On voit le désir et la conscience que nous sommes frères et sœurs, enfants du Père, en marche vers le Père, sauvés par le Christ , habités par l’Esprit Saint. L’Eglise ne se résume pas à une hiérarchie, l’Eglise est avant tout en marche vers la réalisation du projet de Dieu. Cela ne veut pas dire qu’on ignore le sacerdoce mais que ce sont deux réalités complémentaires. D’une part, la fondation de l’Eglise est la vie sacramentelle et la parole de Dieu, qui implique une structure, et d’autre part, la dimension du peuple de Dieu et la vie en sens large. Les deux doivent grandir ensemble. Nous sommes unis dans une diversité, avec des missions différentes à respecter. Un évêque ne gouverne pas seul et le peuple de Dieu a besoin de pasteurs. Tout l’enjeu est d’avancer ensemble.
Place saint Pierre - Rome. Le dicastère pour la vie consacrée se trouve à l'angle de la place et de la via della Concilazione.
Le dicastère a une compétence universelle sur des ordres qui ont une portée internationale, comme par exemple les frères franciscains ou les filles de la Charité. Il y a environ 1.500 instituts de vie religieuse dans le monde. Le dicastère compte environ 30 collaborateurs, répartis dans 5 bureaux thématiques. C’est beaucoup trop peu par rapport à la grosse charge de travail. Carine Dequenne travaille sur le thème du début et de la fin des instituts de vie consacrée. D’une part, lorsqu'un petit groupe naît et s’oriente vers la constitution d’un institut de vie consacrée, il y a tout un parcours, pour prendre de bonnes habitudes, avoir de bons statuts, gagner en autonomie, dans le respect des personnes, de la foi et la tradition de l’Eglise. Constituer un institut passe par la rencontre de deux volontés : celle du petit groupe et celle de l’Eglise. D’autre part, certains instituts deviennent moins appelants, avec moins de vocations et un âge plus avancé. A un certain moment, ils ont moins d’autonomie. Le dicastère les aide à rester fidèles à leur charisme et à se protéger contre des abus de personnes extérieures qui pourraient vouloir abuser de leur fragilité ou de leur patrimoine.
Une triste réalité d’aujourd’hui concerne évidemment les abus. On accepte moins aujourd’hui ce qu’on acceptait plus par le passé. Il faut travailler la formation et sensibiliser. On parle beaucoup des victimes d’abus mais on parle très peu des personnes qui viennent à la rescousse de ces cas problématiques afin de trouver un chemin de vie. Il y a des personnes formidables qui se révèlent dans ces situations compliquées.
Le visage qui l’inspire le plus pour le moment est Pierre Goursat, fondateur peu connu de la Communauté de l’Emmanuel dans les années 70. Il était un homme de conviction, humble et pauvre. Consacré dans le célibat pour la mission, il ne le mettait pas en avant. Sa sobriété de vie l’a aidé à ne pas s’accrocher au pouvoir. Il est né un 15 août et décédé le 25 mars 1991, deux dates de belles fêtes mariales. Elle a beaucoup apprécié le film “Close” de Lukas Dhondt lors de son visionnage à l’ambassade de Belgique à Rome. “Comme l’âme humaine est délicate. On ne peut s'approcher du sanctuaire d’une âme que sur la pointe des pieds. Il ne faut pas enfermer les gens dans les préjugés et les classifications.”
Elle a été marquée par le livre du jésuite Patrick Goujon “Prière de ne pas abuser”. Après avoir occulté les abus dont il a été victime, “il a affronté cette vérité enfouie et petit à petit, il a pu remettre ensemble les différentes pièces de son être. C’est une histoire très sincère et très vraie.” Ce livre traite du sujet des abus et donc de l’exercice de l’autorité. “Aujourd’hui le service de l’autorité est très difficile à vivre, dans les entreprises, à l‘armée, dans les administrations, dans l’Eglise. Il faut comprendre le service de l’autorité. Sa conception a évolué avec les années. On a parfois vécu sans tenir compte de cette évolution. Dans certaines communautés nouvelles, on a voulu vivre directement de façon radicale, sans toujours tenir compte de la réalité humaine, du coeur, de l’esprit et du vécu des personnes. Cela a créé des déviances et des souffrances. Il y a eu toutes sortes de victimes, sans oublier leurs familles et leurs proches. Ces abus ont été stigmatisants pour les instituts où ils ont été commis mais cela touche évidemment l’Eglise dans son ensemble. Le service de l’autorité est avant tout un service pour que l’autre grandisse et non pas pour imposer sa manière de voir, la plus sainte soit elle.”
Quel est le lieu qui l’inspire ? La mer du Nord de son enfance et en particulier l’estacade à Ostende. Elle s’y promenait avec son grand père. Une parole de la bible qui l’a beaucoup marquée est tirée de l’Evangile de saint Jean 15,4 “Demeurez en moi comme moi je demeure en vous. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimé”. Elle a soif de demeurer dans ce lieu aux côtés de Jésus.
Conférence de Carine Dequenne à Liège le 4 février 2023, en présence du père Patrick Bonte, religieux croisier et vicaire épiscopal à la vie consacrée et aux nouveaux mouvements pour le diocèse de Liège.
La vie consacrée a toujours existé dans l’Eglise. Le premier consacré fut Jésus lui-même puis certains de ses proches ont aussi choisi le célibat. Ces célibataires se rendaient disponibles pour la mission et petit à petit, se sont organisés. Dès les premiers siècles de l’Église et avant que ne se forment des communautés religieuses, une consécration nuptiale, liturgique, solennelle était proposée à des femmes qui vivaient « dans le monde » comme sainte Geneviève au 5è s. Vivant dans leurs familles, elles se consacraient au service du Seigneur, des autres et de l’Eglise. Aujourd’hui, on trouve plusieurs milliers de vierges consacrées réparties dans les cinq continents. Elles sont membres du même Ordo Virginum (ordre des vierges) tout en ayant des modes de vie, des professions, des engagements dans l’Église et dans la société extrêmement divers. Ensuite, on considère le moine ermite Antoine le Grand, ou Antoine du désert, comme le père du monachisme chrétien. Son mode de vie attire de nombreux disciples. En fait, la vie religieuse n’est qu’une forme de vie consacrée et les instituts de vie consacrée l’illustrent fort bien.
Carine Dequenne n’est elle-même pas religieuse mais consacrée. En effet, en tant que consacrée au sein de la Communauté de l’Emmanuel, elle est membre d’une association de fidèles avec tous les états de vie: laïcs, consacrés et prêtres. Par contre, elle travaille sur les dossiers d’instituts de vie consacrée dont, par contre, tous les membres sont consacrés ou religieux célibataires.
Ce qui est largement international se rattache à Rome. Les mouvements qui ont une action au niveau diocésain dépendent de leur diocèse sous la tutelle de leur évêque. Ensuite, si les membres sont tous des religieux célibataires, alors leur institut est de vie consacrée et dès lors dépend du dicastère romain. Si le choix de vie est second, on parle d’association de fidèles qui dépendent du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, comme la Communauté de l’Emmanuel ou Sant’Egidio. Ce sont des baptisés qui désirent vivre leur vie en se rapprochant de Jésus-Christ. En leur sein naissent des vocations de consacrés.
Cela ne concerne pas nécessairement et uniquement les prêtres. C’est une déviance de l’existence du sacerdoce. Le cléricalisme, c’est le fait de fonctionner en boîtes, en catégories ou en castes superposées, avec ceux tout au dessus et ceux tout en bas. Le cléricalisme est un héritage du passé. L’Eglise en tant que peuple de Dieu réagit face aux problèmes vécus aujourd'hui. On redécouvre qu’on a besoin de frères et sœurs pour avancer. Les communautés qui traversent des crises peuvent s’appuyer sur d’autres personnes, frères et sœurs, pour retrouver un chemin de vie. D’autre part, il faut redécouvrir que c’est une joie d’être frères et sœurs dans l’Eglise. Chacun peut apporter et valoriser ses talents. Dans le fond, on sait tout cela depuis Vatican II mais le grand enjeu est de vivre authentiquement cette complémentarité des états de vie. Le “sensu fidei”, le sens de la foi, ne peut être perçu qu’à partir du terrain et de l’écoute entre tous les baptisés.
Beaucoup d'intérêts pour la conférence de Carine Dequenne lors de sa conférence à Liège le 4 février 2023, organisée par le vicariat pour la vie consacrée et les nouveaux mouvements, près du 2 février, fête de la vie consacrée.
Pour moi, cette question n’est pas la question essentielle. Certes il y a un enjeu mais c’est avant tout un problème lié à l’humanité. Dans toutes les civilisations et toutes les époques, la femme a été si souvent assujettie. Aujourd'hui, c’est plus l’affaire de personnalités que de structure ou de doctrine. Par contre, il y a un vrai problème au niveau du cléricalisme. Dans l'Église, on a malheureusement trop tendance à fonctionner en boîtes, ce qui est limitant. On a beaucoup à gagner de redécouvrir notre complémentarité des états de vie. Dans le dicastère pour les instituts de vie consacrée, depuis longtemps, une des principales responsables est une femme. Parmi les consulteurs pour la nomination des évêques, trois femmes ont été nommées. Les choses avancent, c’est indéniable. On ne peut plus faire marche arrière.
Yalla ! comme disait soeur Emmanuelle, en avant ! Assumons chacun pleinement notre responsabilité et notre vocation de baptisé. Inventons des choses, prenons des initiatives. N’attendons pas que tout nous vienne de la hiérarchie. Allons ensemble de l’avant !
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