Difficile de succéder au très charismatique Jean-Paul II ! Dès son élection en 2005, le pape Benoît XVI a été incompris. Pourtant, cet homme qui se disait lui-même humble et simple a su imprimer sa marque et s'emparer de dossiers épineux comme celui de la pédocriminalité dans l'Église. Quelle continuité entre Jean-Paul II et Benoît XVI ? Comment le premier pape allemand a-t-il préparé le pontificat de François ?
Le 15 avril 2005, le cardinal Ratzinger a été élu pape à l'âge de 78 ans. Benoît XVI a ainsi succédé à Jean-Paul II, qui s'est éteint après 26 ans de pontificat. Benoît XVI allait rester sur le siège de Rome un peu moins de huit années avant d'annoncer sa renonciation en 2013. Il laissera l'image d'un évêque de Rome plus tourné vers les enjeux théologiques que ne l'était Jean-Paul II. L'image aussi d'un pape qui a ouvert la voie aux réformes initiées par son successeur le pape François. Pour analyser la place du pontificat de Benoît XVI dans l'histoire récente de l'Église catholique, Béatrice Soltner reçoit Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix. Auteure de "Benoît XVI – Le pape incompris" (éd. Bayard, 2008), elle a été correspondante à Rome de 2005 à 2009.
Joseph Ratzinger s'est éteint le 31 décembre 2022, à l'âge de 95 ans. Il avait été élu pape le 19 avril 2005 sous le nom de Benoît XVI et avait renoncé à cette charge huit ans plus tard. Qui était Benoît XVI ? Quelles images garderont de lui les catholiques et le monde ? La rédaction de RCF vous propose une programmation spéciale en hommage au pape émérite.
Après les 26 années qu’a duré le pontificat de Jean-Paul II, la difficulté pour les cardinaux électeurs a été de trouver quelqu’un à la hauteur. Ont-ils fait un choix de raison ? De peur ? "Je pense que les cardinaux avaient peur, analyse Isabelle de Gaulmyn, correspondante à Rome de 2005 à 2009 pour le journal La Croix, c’était un peu écrasant cette figure de Jean-Paul II…" L’Église qu’a laissée le pape polonais à son successeur était encore marquée par les bouleversements de l’après-Vatican II. Pour la journaliste, Benoît XVI "était un peu hanté par cette mission de dire où on en est". De réexpliquer ce qu'est la foi chrétienne et ce qu'est l’Église.
"Après le grand pape Jean-Paul II, les cardinaux ont élu un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur." Ce sont les premiers de Benoît XVI tout juste élu, depuis le balcon, place Saint-Pierre. Un homme qui est tout de suite apparu comme humble : c’est l’image que beaucoup garderont de lui. Et cependant c’est à ce moment-là que "l’incompris" a commencé, selon Isabelle de Gaulmyn. L’humilité et la simplicité dont il parle, "il les a vécues d’un point de vue théologique". "Ce pauvre Benoît XVI il n’a cessé de dire des choses que personne n’a entendues, expose la journaliste, un de ses objectifs ça a été de redimensionner la fonction de pape : c’est-à-dire qu’elle avait quand même beaucoup enflé avec Jean-Paul II. Et lui était beaucoup plus sur une théologie où le pape est d’abord l’évêque de Rome, celui qui est garant de l’unité dans l’Église mais qui n’est pas le prêtre universel qu’était Jean-Paul II." La vision de l’Église développée par Benoît XVI, vision "sans doute assez subtile", n’a pas pu être déployée jusqu’au bout. Mais il a préparé le chantier pour son successeur.
On a rapidement collé une étiquette à Benoît XVI. Celle du gardien du dogme, rigide, de l’intellectuel réactionnaire. Pour Isabelle de Gaulmyn, cela peut être "vrai" mais seulement en partie. Le 265e pape a surtout été "très mal entouré" selon la journaliste. "Beaucoup de gens autour de lui, finalement, lui ont nuit." Et il avait lui-même "un vrai problème de communication". Ce qui peut sembler paradoxal car cet excellent pédagogue était par ailleurs capable de faire comprendre simplement des aspects compliqués de la foi.
Ainsi, si son discours de Ratisbonne restera célèbre c'est sans doute pour de mauvaises raisons. En 2006, alors qu'il était en visite pastorale en Allemagne, Benoît XVI a défrayé la chronique un peu malgré lui. Cinq ans après le 11 septembre 2001, il a repris dans son discours une question que l’on se posait au Moyen Âge sur la place de la raison dans l'islam. Les journalistes ont repris cette phrase, certes sortie de son contexte, mais qu'il "n'aurait pas dû dire" estime Isabelle de Gaulmyn, car "il était pape". Ce jour-là à Ratisbonne, c’est sans doute plus Joseph Ratzinger le professeur d’université que le chef de l’Église catholique qui a parlé. "Il a complètement oublié qu'il était là en tant que pape !" Par ailleurs, selon Isabelle de Gaulmyn, Benoît XVI "n'aimait pas beaucoup les conseils" et "avait du mal à accepter de faire relire ses discours".
Mal conseillé, Benoît XVI l’a été aussi en 2009 quand il a annoncé la levée de l'excommunication de Richard Williamson, un évêque lefebvriste dont on découvrait à peu près au même moment les convictions révisionnistes. L’affaire Williamson a fait couler beaucoup d’encre. Le pape a été "très mal conseillé par des gens qui avaient tout intérêt à ce qu'il soit mal conseillé", estime Isabelle de Gaulmyn. La journaliste estime aussi que le pape allemand "était un peu obsédé par cette histoire des intégristes". "Il y a passé beaucoup de temps pour un résultat quand même quasi nul." Cependant, il faut lui reconnaître "le mérite" d’être allé "jusqu'au bout". "Il les a poussés finalement, ces intégristes, à aller jusqu'au problème du dogme."
Benoît XVI était un augustinien, fondamentalement assez pessimiste sur la nature humaine
Mal conseillé mais courageux, Benoît XVI s’est emparé de dossiers épineux comme celui des Légionnaires du Christ. L’œuvre de Marcial Maciel (1920- 2008) faisait l’admiration de Jean-Paul II, dont il était un proche. L’une des premières mesures prises par le successeur du pape polonais a été, en 2006, de lancer une enquête sur les Légionnaires du Christ et d’écarter Marcial Maciel, reconnu plus tard coupable entre autres de pédocriminalité.
"Benoît XVI était un augustinien, fondamentalement assez pessimiste sur la nature humaine", relève Isabelle de Gaulmyn. Et admettre que des hommes, même au sein de l’Église, peuvent commettre les pires atrocités, c’est un atout quand on est pape. "C’est vraiment sa grande force par rapport à Jean-Paul II", considère la journaliste. Quand il a déclaré en mai 2010 : "Les souffrances de l’Église viennent de l’intérieur même de l’Église, du péché qui existe dans l’Église", Benoît XVI invitait à cesser de considérer l’institution ecclésiale comme intouchable.
Il restera le premier pape à s’être réellement emparé du lourd dossier de la pédocriminalité dans l’Église. Il est le premier souverain pontife à avoir rencontré des victimes de prêtres pédocriminels. Alors qu’aucun évêque n’osait le faire, lui a "pleuré" avec eux, raconte la journaliste. "C’est sa sensibilité qui a parlé", révélant un pape "assez fin, assez sensible, sans doute beaucoup plus que Jean-Paul II"... Un lourd dossier que Benoît XVI a transmis à François, même si l'on peut regretter que les mesures prises par Benoît XVI, tout comme celles de son successeur, se trouvent freinées par "l’énorme machinerie bureaucratique du Vatican", comme la décrit Isabelle de Gaulmyn, et aussi par "cette mentalité qu’il faut bouger et pour laquelle il a du mal".
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