Dans l'histoire du rapport des hommes à Dieu, la Shoah a rebattu les cartes. À l'image d'un Dieu tout-puissant on a substitué celle d'un Dieu silencieux, en retrait, ou encore celle de la mort de Dieu. Un Dieu vers qui l'on crie, comme Jésus sur la croix, comme le psalmiste... On en parle à l'occasion du colloque "Foi et déportation" organisé en partenariat avec RCF.
Les 16 et 17 mars aura lieu le colloque "Foi et déportation" organisé par le Centre européen du résistant déporté (CERD) à Strasbourg, en partenariat avec RCF. Au programme, des conférences, concerts et tables-rondes. L’une d’elles réunira un catholique, un juif et un protestant : le dominicain Frère Thierry Hubert, le grand rabbin de Strasbourg Harold Abraham Weil et le pasteur Pierre Magne de la Croix. Tous trois sont les invités de RCF.
Après la Shoah, le rapport des hommes à Dieu a changé. "Clairement, que ce soit chez les gens qui étaient très croyants avant la Shoah ou ceux qui ne l’étaient pas du tout, la Shoah a rebattu les cartes, analyse Harold Abraham Weill, le grand rabbin de Strasbourg. Et elle repose de manière totalement différente la question de la foi en Dieu."
Après la Shoah, on est passé d’un Dieu tout-puissant à un homme en révolte. "Peut-on encore dire que Dieu est tout-puissant ?" questionne Pierre Magne de la Croix, pasteur et président de l’Église protestante réformée d'Alsace et de Lorraine (Épral). La Shoah on a selon lui remis "en valeur la foi comme contestation, comme lamentation, comme révolte, comme accusation contre l’humanité mais aussi contre Dieu". Quand, dans les évangiles, résonne le cri de Jésus sur la croix, "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?", c’est un écho au Psaume 21. Ainsi, la Bible nous le montre, "on est autorisés et légitimés à contester, à se révolter et même à rejeter Dieu", nous dit le pasteur. "Je pense que ça fait partie aussi de la démarche de foi, lorsqu’on vit des choses particulières, d’être dans cette contestation dans ce rejet et dans cette protestation contre Dieu."
Depuis la Shoah, il ne s'agit plus tant de chercher à savoir qui est Dieu mais où il est... Pour le dominicain Thierry Hubert, "dans ce bouleversement de la Shoah et de l’Holocauste" il y a eu "un renversement de la question". "À partir de là, on va revisiter peut-être en théologie catholique un Dieu en la personne de Jésus et en la personne du crucifié. On va arrêter les grandes considérations métaphysiques qu’on pouvait avoir grâce à la philosophie grecque pour arriver davantage et en cela à nous rapprocher de la tradition juive, à un Dieu de la révélation." On considère de manière plus prégnante "le Dieu de l’histoire qui s’engage auprès de l’homme esclave en Égypte, auprès de l’homme bafoué, auprès de l’homme humilié, pour l’amener en terre de liberté..."
Jean-Marie Lustiger parlera du silence obscur de Dieu comme celui du Samedi saint pour les chrétiens, quand après la mort du Christ un grand silence se fit sur la terre. Peut-être que notre XXe siècle et les temps que nous vivons sont de cet ordre d’un grand Samedi saint…
"Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert", écrit Élie Wiesel dans "La nuit" (1958).) Après la Shoah, on a parlé de la mort de Dieu et du silence de Dieu. "Le silence de Dieu est extrêmement présent dans notre tradition, rappelle le rabbin Harold Abraham Weil. C’est-à-dire que finalement, la Shoah n’a fait que révéler une idée présente dans nos textes. À un moment de l’histoire il peut arriver que Dieu se manifeste d’une façon différente, parfois déstabilisante, un petit peu bouleversante." Comme le rappelle Frère Thierry Hubert, le cardinal Jean-Marie Lustiger "parlera du silence obscur de Dieu comme celui du Samedi saint pour les chrétiens, quand après la mort du Christ un grand silence se fit sur la terre. Peut-être que notre XXe siècle et les temps que nous vivons sont de cet ordre d’un grand Samedi saint…"
Alors que les témoins de la Shoah disparaissent, il nous faut "entendre la gravité du mal", estime Thierry Hubert. Et ne pas oublier, dans ce long silence de Dieu qu’il y a eu des "Justes". Selon le grand rabbin, ils sont "’expression même de l’existence de Dieu". Là où le nazisme a voulu déshumaniser, "s’attaquer aux âmes", il reste une partie en l’homme "absolument indestructible". "Les Justes, on en parle pas suffisamment, estime le grand rabbin de Strasbourg, il est de notre devoir de souligner l’action extraordinaire qui a été la leur. Elle reflète l’existence de Dieu et ce devoir de chercher à lui ressembler."
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