La mini-série de TF1 "Les Randonneuses", sur six femmes concernées par le cancer, a remporté un franc succès. Elle pose notamment la question de la guérison : dans le cas de maladies graves, guérir est rarement synonyme de retour à l'état d'avant la maladie. Qu'est-ce donc que la guérison ? Pourquoi a-t-on souvent le réflexe de prier pour guérir ? Quelle est la conception chrétienne de la guérison ?
Parler de guérison c'est se demander ce que signifie être malade ou en bonne santé. Il semble que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans la définition qu’elle en donne, délivre une vision quelque peu "utopique". Pour l’OMS en effet la santé est "un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absente de maladie, ou d’infirmité". "Je pense que cette définition est folle parce que personne d’entre nous n’est jamais en état de complet bien-être, souligne Anne Lécu, religieuse dominicaine et médecin en milieu pénitentiaire. La bonne santé, comme la maladie, sont donc des notions complexes qui interrogent les différentes conceptions de l'être humain.
"La santé, c’est la capacité de tomber malade et de guérir", disait le philosophe Georges Canguilhem (1904-1995). Autrement dit, relève Anne Lécu ce n’est "pas du tout l’absence de maladie !" En réalité la maladie ou la santé sont des notions complexes car "je peux me sentir mal et on ne peut ne pas savoir ce que j’ai ou je peux avoir une maladie précise et vivre parfaitement bien avec, polysémique".
Corps subjectif, corps objectif ou corps social : qu'est-ce qui est en bonne santé ? Qu'est-ce qui est malade ? Les anglophones ont trois mots pour dire la maladie : "illness", c'est-à-dire le vécu subjectif de la maladie ; "desease" qui signifie la maladie objective ; et "sickness", la maladie dans sa dimension de relation avec les autres. Ainsi, derrière la notion de maladie, "il y a toujours une conception de l’homme", souligne Bruno Saintôt, jésuite, directeur du département d'éthique biomédicale du Centre Sèvres. Conceptions psychique, corporelle, relationnelle mais aussi spirituelle...
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La guérison est, comme la santé ou le salut, un mot "chargé d’histoire" qui engage "une certaine conception de l’existence", décrit le spécialiste de bioéthique. Qu’est-ce que la guérison ? Il y a l’idée d’un retour à l’état d’avant la maladie. Or, ce n’est pas toujours possible, surtout dans le cas d'une maladie grave. Pour Anne Lécu, dans la notion de guérison il y a l’idée de "faire levier sur une expérience difficile pour remettre du jeu et finalement aller dans une autre direction dans sa vie et remettre des possibles qu’on n’aurait pas imaginés".
La guérison est l’un des thèmes particulièrement prégnants de la Bible, il traverser tout le Premier Testament. Les guérisons que Jésus opère dans les évangiles - une trentaine - "sont toujours des signes de quelque chose d’autre", précise le Père Saintôt. Elles sont d’abord le signe que "Jésus se préoccupe de toutes les dimensions de notre être" : de notre corps mais pas seulement. Comme le remarque Anne Lécu, Jésus pose souvent cette question au malade : Veux-tu guérir ? Une question étonnante, on ne s’attend pas à ce que la malade réponde non ! C’est que Jésus prend en compte ce qui est premier, avant le désir de guérir : le désir d’être reconnu, estime Anne Lécu.
Une reconnaissance ou un changement regard que le malade attend de la part de son entourage. Ce que Jésus prend également en compte puisque "à chaque fois qu’il y a une guérison" dans l’évangile, "il y a l’entourage" qui est concerné de près ou de loin. Bien souvent, Jésus fait changer l’attitude des uns et des autres à l’égard du malade, ce qui nous enseigne sur la nécessaire dimension politique du soin...
Il y a un mystère du mal que l’on ne peut pas expliquer, mais nous devons toujours poser cet acte de foi que Dieu n’a pas fait la mort
N’avons-nous pas cette tendance à vouloir apporter une explication à la maladie ? Jusqu’à supposer, parfois inconsciemment, qu’il puisse y avoir une faute derrière tout malheur. Or, quand l’évangéliste Matthieu écrit que le Christ "a porté nos maladies" (Mt 8, 17), en citant le prophète Isaïe, "il prend sur lui la malédiction de la maladie. Il détache la malédiction de la maladie", commente Anne Lécu en s’inspirant de Jacques Ellul.
Toutes les souffrances de l’aveugle en tant qu’aveugle ou du lépreux en tant que lépreux, Jésus les prend sur lui sans qu’il soit nécessaire qu’il en ait les signes extérieurs. C’est pourquoi le miracle n’a pas besoin d’être universalisé. Lorsqu’il guérit un lépreux, Jésus souffre de la souffrance du lépreux et de ce fait souffre pour tous les lépreux.
Jacques Ellul, "Le défi et le nouveau", 1948
Les guérisons que Jésus opère doivent nous conduire à renouveler notre regard sur le salut. "Le salut aujourd’hui c’est foncièrement croire que la maladie n’est pas une malédiction envoyée par Dieu, explique Anne Lécu, parce que les malédictions, le Christ les a toutes portées une fois pour toutes, que ce soit la malédiction de la faute, de la mort, du malheur, de la maladie… Et ça je crois que ça tort le coup aux pratiques parfois excessives de guérisons dites psycho-spirituelles, qui sont à mon sens non ajustées."
Ne pas oublier ce qui est dit dans le Livre de la Sagesse : "Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants." (Sa 1, 13) "Il y a un mystère du mal que l’on ne peut pas expliquer, observe Anne Lécu, mais nous devons toujours poser cet acte de foi que Dieu n’a pas fait la mort. Le lien définitif tissé par la grâce du Christ, personne jamais ne peut l’atteindre envers aucun homme de cette terre, jamais !" Comme le dit Bruno Saintôt : "Jésus ouvre des possibles, ouvre une autre manière de regarder son existence."
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