Roman posthume de Pierre Charras, Au nom du pire fleure bon le ragoût provincial chabrolien, mais soudain tout bascule et passe de la mascarade à la tragédie. Par l'effet d'un simple discours, tout se tend, s'électrise, la plus sombre mémoire que l'on avait tuée revient en force : celle qui va de l'Occupation aux lendemains qui devaient chanter. Avec ce roman, Pierre Charras, homme d'une œuvre "lucide, profonde et désabusée" comme l'écrit Philippe Claudel dans son fervent prologue, donne à la fois une grande leçon d'écriture et un coup de sonde redoutable dans le pire de la mémoire collective française.
Pierre Charras - Au nom du pire - Le Dilettante - 16 €
Né à Saint-Étienne, Pierre Charras comédien, écrivain, traducteur, est mort le 19 janvier 2014 à Bagnolet. « Au nom du pire » est son roman posthume. « La vie, et peut-être l’écriture aussi, lui avaient permis de peler la nature humaine comme un oignon » écrit Philippe Claudel dans sa préface.
Elections municipales. Entre deux tours. Maurice Michaux, maire sortant, élu et réélu depuis vingt-quatre ans « dans un fauteuil », pour ne pas dire « les doigts dans le nez », vient de ramasser une claque magistrale. « Ballottage défavorable » murmurent ses amis, « cui cui cui gazouillis » claironnent ses adversaires.
Un coup de tonnerre, en tout cas, qui interroge car rien ne laissait prévoir un tel désamour, surtout suivi de cette incroyable rumeur : Maurice Michaux se refuserait de faire campagne pour le second tour.
S’il y a des gendres idéaux, Maurice Michaux était lui le maire idéal. Maire sans étiquette, droit dans ses bottes et droit tout court, il était considéré par tous comme le « parfait honnête homme ». Une expression qui avait amené cette question vacharde : « pas du tout un politicien, alors ? » à ce voyou de Goneau, un mercenaire envoyé de Paris pour mettre en place les pires turpitudes destinées à éviter une trop nette défaite. Débandade qui risquerait, aux dires des stratèges maison, d’éclabousser le parti.
Il y a vingt-six ans Maurice Michaux s’était entiché de cette ville. C’était un jour où - plus jeune ministre de France et alors que beaucoup voyait en lui un futur Président de la République - il y était venu en visite officielle. Sans raison apparente il avait fait un malaise en pleine liesse populaire, avait été hospitalisé et à sa sortie avait démissionné de tous ses postes officiels - ministre et député compris - pour se vouer corps et âme à cette ville. Et rien qu’à elle. Deux ans plus tard il en serait le maire et le resterait vingt quatre ans, jusqu’à cette mémorable déculottée.
Et ce deuxième tour me direz vous ? Eh bien à deux jours du vote, Maurice Michaux prendra une décision que ses amis jugeront suicidaire : il décide de confesser, oui de confesser à la radio locale pourquoi il y a vingt-six ans, tirant un trait sur ses ambitions, il a décidé de rester ici.
© clichés Louis Reynard
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