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« Le lambeau », de Philippe Lançon
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« Le lambeau », de Philippe Lançon

RCF,  -  Modifié le 3 mai 2018
Christophe Henning nous présente « Le lambeau », un livre de Philippe Lançon, publié chez Gallimard.

Faut-il vous parler de ce livre ? J’en suis persuadé, mais attention : âmes sensibles s’abstenir. C’est un livre douloureux et bouleversant qui nous entraîne au cœur d’une profonde blessure. Celle que nous avons ressenti le 7 janvier 2015, quand deux terroristes ont tué douze personnes au siège de Charlie Hebdo. Mais franchement, ce choc qui fut le nôtre n’est rien à côté de ce qu’ont vécu les victimes. Et lire Philippe Lançon, journaliste à Libération et Charlie Hebdo, c’est le suivre en enfer. Survivant d’entre les morts, il prend la plume pour raconter, sans fard ni pathos, avec une précision chirurgicale, les semaines, les mois qui ont suivi. Je le répète : ce livre est dur, et vous conduit là où on ne voudrait pas aller, au cœur du massacre, aux urgences, en rééducation. Et pourtant : l’auteur n’en rajoute pas, avec une économie de mots – en dépit des 500 pages -, il raconte la vie d’après.
                                                                                                                 
C’est certainement l'impudeur, poussant le lecteur à revivre ce drame, qui rend le livre presque violent et en même temps essentiel : Philippe Lançon ne travestit pas la cruelle vérité, il décrit ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, sans rancœur ni jugement. Il raconte l’horreur. Grièvement blessé aux bras, à la mâchoire, il ne cherche pas d’autre explication qu’un coup du sort. Ses amis sont morts, et lui est encore là : « J’ai senti la solitude d’être vivant », confie-t-il alors qu’en une minute sa vie a basculé. Pourtant, il n’est pas seul, ses proches se précipitent à son chevet, les Français sont Charlie et descendent dans la rue… Lui reste en dehors de tout cela, il doit se reconstruire sur des ruines : « Les souvenirs remontaient en surface et en désordre, déformés, hors d’usage, parfois même non-identifiables, mais d’une présence ferme ».
 
Il y a l’attentat, et puis ces longs mois d’hospitalisation… Dix-sept opérations, 282 jours à l’hôpital : comment vivre une si longue traversée de douleur ? « Je ne souffrais pas, j’étais la souffrance ». Aux blessures s’ajoutent la peur, constante, les cauchemars, les visions d’enfer : « Le 7 janvier a mis la menace au premier plan, chaque jour, chaque minute, dans chaque détail. » Cette gueule cassée nous en met plein la vue, en s’excusant presque de la cruauté de la vie. Il n’y a que la littérature qui peut se permettre d’être aussi implacable qu’un rapport de police et aussi impudique qu’un journal intime. Parce que la littérature sert à cela : dans un monde en feu, défendre la plus petite parcelle de vie.
 

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