"Une qualité de l'oeuvre de (Karl) Marx, c'est qu'elle peut être expliquée en cinq minutes, en cinq heures, en cinq ans ou en un demi-siècle", disait Raymond Aron, spécialiste du marxisme. Une formule qui reflète la façon dont on a fait du marxisme tantôt un slogan, tantôt l'objet d'interminables débats, jusqu'à une stratégie révolutionnaire vers un régime totalitaire. Il y a 200 ans, le 5 mai 1818, naissait Karl Marx, le philosophe qui allait être le plus lu au XXè siècle... et le plus controversé.
Né à Trèves, d'un père avocat, Karl Marx a grandi dans un milieu bourgoies libéral, fortement impressionné par les idéaux des Lumières et la Révolution française. C'est que la ville où il est né a été française lorsqu'elle a été intégrée à l'Empire de Napoléon Ier. Et Marx avait 12 ans en 1830 quand a éclaté à Paris la révolution de Juillet. Jean-Numa Ducange note que le philosophe a entretenu "un rapport ambigu" à la Révolution française : il en était à la fois impressionné, "pour lui, la Révolution française est restée trop étroite, trop bourgeoise".
Décisive dans la vie et l'œuvre de Marx, sa rencontre avec Friedrich Engels (1820-1895). Des liens d'amitié noués vers 1844, qui ont permis au philosophe d'acquérir une véritable connaissance des conditions de vie du prolétariat. Fils d'industriel allemand vivant à Manchester, Engels est lui-même chef d'entreprise et entrepreneur capitaliste. "Il a beaucoup appris à Marx, et notamment à lire des comptes d'entreprise", comme le rappelle Pascal Combemale. Et si la pensée de Marx a eu un tel retentissement, ce n'est pas seulement grâce à sa formation philosophique de premier plan. C'est aussi grâce à "son aspect très technique, matériel". Observant l'émergence d'une classe ouvrière en Europe - et par exemple la révolte des tisserands de Silésie de 1844 - Marx a vu dans le prolétariat un nouvel acteur historique.
Lutte des classes, dictature du prolétariat, internationalisme, communisme... Il ne faudrait cependant pas réduire la pensée de Marx au seul système communiste. Sa conception de la lutte des classes - que l'on lit dans "Le manifeste du Parti communiste" : "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes" - comme grille de lecture permet de "comprendre toutes les contradictons de l'histoire humaine", explique Jean-Numa Ducange. "Et ça va à la fois parfois stériliser un peu certaines études historiques qui vont vouloir appliquer la lutte des classes à absolument tout, et en même temps ouvrir un champ extraodinaire de recherche, de pensée." Ainsi, avant Marx le contexte économique et social n'allait pas de soi dans l'interprétation des événement historiques, notamment les révolutions.
Pascal Combemale soulève toutefois "un conflit d'interprétation" et "une tension dans l'œuvre de Marx". "Il y a un peu chez lui l'idée que l'histoire a un sens et que ce sens est celui de l'émancipation de l'homme." Une vision qui s'oppose à la lutte de classes : "S'il y a lutte de classes l'issue est indéterminée."
Qu'est-ce que Marx aurait pensé de la révolution bolchevique ? Mort en 1883, il n'a pas pu assister à l'installation du régime soviétique. "Ce qu'il y a de vrai, pour Jean-Numa Ducange, et qu'on ne peut pas nier historiquement, c'est qu'à la fin de sa vie il a appris le russe, il s'est intéressé de la situation en Russie." Marx a même émis l'idée que la révolution pourrait se faire en Russie et qu'alors, elle prendrait "des formes spécifiques". Difficile de croire que la pensée marxiste n'a pas de lien avec la révolution d'octobre 1917.
Lénine, cependant, "présente une version radicalisée de la dictature du prolétariat" - elle-même citée assez peu de fois dans les textes de Marx. "Ce n'est pas un élément programmatique clé du vivant de Marx alors que chez Lénine ça va devenir au contraire quelque chose d'étroitement lié à la théorie d'un parti politique structuré, hiérarchisé, avec un plan stratégique de prise du pouvoir."
La question que l'on peut se poser à propos du marxisme et de son application aux conséquences tragiques, c'est : "que serait devenu le marxisme sans la révolution de 1917 ?", comme la formule Pascal Combemale. Philosophe phare du XXè siècle, Marx a en tout cas servi "d'outil" pour alimenter des passions politiques - la postérité d'une pensée, faut-il le rappeller, pas si facile d'accès.
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