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Quand l'immobilité est un acte de résistance
Présentée par Béatrice Soltner

© Matthew Henry / Unsplash - Pour le philosophe, "ce n'est pas pareil de prendre son téléphone pour jouer ou pour téléphoner, ou de lire un roman de 500 pages"
Il faut redonner sens à l'immobilisation. Pour le philosophe Jérôme Lèbre, se tenir immobile, en conscience, c'est un acte de résistance. Savoir faire halte c'est résister sans violence...
Que ce soit dans le domaine du travail, des moyens de transport ou encore dans la sphère des communications la vitesse semble chaque jour gagner du terrain. Le monde à porté de clic réduit les distances, on parle d’accélération des échanges en temps réel, de logique d’instantanéité, nous donnant l’impression d’être happé dans une course sans fin. L’homme contemporain s’inquiète d’une vitesse qui le dépasse et en même temps, il n’arrête pas de bouger, il suffit de penser par exemple à l’engouement actuel pour la course à pied. Le philosophe Jérôme Lèbre, auteur d'un "Éloge de l'immobilité" (éd. DDB), interroge cette ambivalence qui consiste à vouloir sortir d’une cadence considérée comme folle tout en ayant peur que tout s’arrête. Il décrit aussi combien notre monde technicisé crée paradoxalement un manque de mobilité.
"C'est illusoire voire idéologique de dire que tout s'accélère, ou même que notre société repose sur la mobilité"
Cette illusion que tout s'accélère
De l'engouement actuel pour la course à pied, au développement des moyens de transports, en passant par les nouvelles technologies de la communication... Qui n'a pas éprouvé cette sensation que tout s'accélère? Or, "le temps ne va pas plus vite", les physiciens nous le certifient! Certes, depuis que l'on a inventé un système de relais pour accélérer les déplacements à cheval, le maître-mot semble être "toujours plus vite". Mais "jamais l'homme n'a été ou ne sera entièrement technique, nous dit le philosophe, il y a toujours une marge qui s'appelle celle de l'existence, qui fait que l'homme n'est pas réductible à la machine."
D'ailleurs ces mêmes techniques ne nous rendent-elles pas immobiles ? Assis des heures devant son écran d'ordinateur, debout attendant le train ou immobiles dans le métro... "La technique a tendance à nous immobiliser", rappelle Jérôme Lèbre. "C'est illusoire voire idéologique de dire que tout s'accélère, ou même que notre société repose sur la mobilité." C'est aussi une illusion car quantité de nos contemporains ne se déplacent pas, les personnes malades ou détenues notamment. "Au fond, qu'est-ce que l'on partage tous ? Ce n'est pas de bouger dans tous les sens, ce que l'on partage le plus, ce sont les moments d'immobilisation."
Que faisons-nous de notre temps d'immobilité ?
La manière dont chacun occupe le temps est "révélatrice" de quelque chose. Pour le philosophe, "ce n'est pas pareil de prendre son téléphone pour jouer ou pour téléphoner, ou de lire un roman de 500 pages". Que faison-nous du temps que nous avons ? Question aussi pragmatique que vertigineuse - décisive. "L'existence est une exigence de sens, personne n'a envie que son existence soit absurde." Des activités comme la lecture, l'écriture, la méditation ou la création artistique sont directement liées à la quête de sens. Et si la technologie nous donnait plus de temps pour donner du sens à nos vies ?
L'immobilité, un acte de résistance
Dans son essai, Jérôme Lèbre évoque la dimension éthique de l'immobilité. Elle est une manière d'envisager la non-violence avec Martin Luther King ou Gandhi. Et plus récemment, on a fait de l'immobilité un acte de résistance lors de mouvements comme Occupy Wall Street (OWS) ou Nuit debout. On pense aussi aux "hommes debouts" de la place Taksim à Istanbul ou à l'Homme de Tian’anmen. Jérôme Lèbre écrit : "Résister ça n'est pas faire quelque chose, c'est avant tout se tenir là, immobile, dans le seul but d'être là et de revendiquer son droit à l'existence." On fait valoir sa force, on est en demande de sens.
Invités
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Jérôme Lèbre, philosophe, enseignant en classe préparatoire au lycée Hélène-Boucher (Paris XX), membre du Collège international de philosophie
Bibliographie
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