Histoire d'un amour

Intense bonheur sans bruit. Invitation discrète à écouter la déclaration d’un amour prodigieux. J’aime à relire le livre d’André Gorz - « Lettre à D., Histoire d'un amour ». André Gorz, journaliste, essayiste engagé, théoricien de la critique du capitalisme, mort en 2007. Des lectures souvent austères.
 
Alors ces 75 pages sont un miracle, celui de l’essentiel venu au jour, du décisif, pour ce penseur qui, après tant d’écrits, avoue : « L'amour est la fascination réciproque de deux sujets dans ce qu'ils ont de moins dicible, de moins socialisable, de réfractaire aux rôles et aux images d'eux-mêmes que la société leur impose, aux appartenances culturelles. »
 
L’amour de sa vie bat depuis 58 ans. Ce ne sont pas les mots d’un vieil homme, au soir de son existence, mais d’un amour dont la jeunesse est belle et sans fard. « Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. » Des mots comme une promesse qui racontent ce qu’aimer veut dire, en tout temps.
 
La Lettre d’A. Gorz offre le récit de cet amour : depuis leur improbable rencontre, un soir de 1947 à Lausanne, en passant par les événements de leurs vies, les rencontres marquantes - Sartre en 1946 - jusqu’au temps où inquiètent les graves maladies de D. André Gorz prend sa retraite, apprend aussi la cuisine et surtout reste près d’elle. Il faut dire l’unique nécessaire : le simple amour. Il a alors 83 ans. « Je me sentais profondément indigne de D. Je ne la méritais pas. En refaisant le chemin de notre histoire commune, j'ai beaucoup pleuré. Il fallait que je fasse ce travail avant de mourir. Puisque notre rapport a été ce qui il y a eu de plus important dans notre vie. »
 
André voulait faire aimer D. comme il l'aime. Il a réussi. « Tu viens juste d'avoir quatre-vingt-deux ans...»,  Lettre à D. se termine comme elle a commencé. Mais entre les deux, il y a l’écriture, sobre, qui raconte magnifiquement l’amour. Qui tente d’apprivoiser la mort. « Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble. »