Je n’ai pas regardé, Stéphanie, comme chaque semaine les images qui circulent sur les réseaux sociaux, je n’ai pas feuilleté les journaux, je n’ai pas regardé la télévision… J’ai ouvert un très beau livre : l’annuel de l’AFP, l’agence France presse. 200 pages aux éditions de la Découverte. Et le livre sélectionne et publie les coups de cœurs des 400 photographes (tout de même) qui travaillent pour l’agence implantée partout dans le monde. J’ai parcouru ce panorama de l’année 2018, à la recherche d’une photo qui résumerait, qui incarnerait bien l’année.
Il y a des photos qui permettent de garder une trace des grands moments de l’actualité : la poignée de main entre Donald Trump et Kim Jong Un, Kylian M’Bappe qui embrasse le trophée de la coupe du Monde, des visages d’hommes ensanglantés en Syrie, des réfugiés entassés dans des canots de fortune sur la Méditerranée... Mais comment choisir, faire le tri, classer, hiérarchiser ces petites joies, ces grandes douleurs, ces peines ? Alors l’autre critère, Stéphanie, cela pourrait être celui des prix qui récompensent l’œil des photographes. Il y a dans le livre une double page impressionnante avec toutes les photos retenues par des jurys professionnels. Impressionnante, car il y en a au moins 5 avec des flammes. On voit que pour taper dans l’œil de la profession, il faut des policiers ou des manifestants en feu ! Mmmm. Je trouve ça souvent insoutenable. Alors pour changer, je n’ai pas pris ce prisme là. J’ai choisi une photo qui m’avait touché, moi. Qui m’a surpris. J’ai retenu une photo qui peut sembler hors du temps. Des oiseaux.
C'est page 197, presque à la fin. Le photographe Menahem Kahana a pris cette image dans le désert du Negev en Israël – une terre qui ne manque pas d’actualité. Il raconte « Tous les ans, à la fin de l’hiver, des dizaines de milliers d’étourneaux migrateurs affluent vers les déserts du Sud. Avant de se poser pour la nuit dans les arbres, ils dansent dans le ciel. Et quand la nuée est volumineuse, le ballet est spectaculaire. Ils peuvent voler pendant une heure, formant toute sorte de figures à la tombée du jour ». Et il a attrapé là une très belle figure, extrêmement gracieuse. Les étourneaux forment ensemble une silhouette d’oiseau. Une centaine d’entre eux pour dessiner une aile majestueuse, d’autres incarnent un port de tête altier, un bec qui pointe vers le ciel, un ramage un peu plus sombre. Ils sont des milliers, mais ils ne semblent ne former qu’un.
En bas de la photo, une ligne d’horizon parsemée de quelques arbres, nous donne l’échelle. Le ciel avec son dégradé de bleu nous donne aussi l’heure : c’est l’aube ou la fin de journée. Cette photo, c’est une respiration, une bouffée d’air, un instant de poésie au milieu des trépidations de l’actualité. Comme le crépuscule ou l’aube – sauf pour vous, Stéphanie - permettent de ralentir ou de démarrer doucement sa journée. Cette photo, c’est une invitation à l’émerveillement devant la beauté de la nature. C’est aussi une invitation à retrouver nos yeux d’enfants – on voyait des formes dans les nuages, allongés dans les prés, on peut en voir aussi (nous dit le photographe) dans les colonies d’oiseaux. Guetter l’émerveillement, garder nos yeux d’enfants, c’est ce que je vous souhaite à tous et toutes, à quelques jours de Noël.
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