PAS D’HUMANITÉ SANS MYSTIQUEJe voudrais vous partager une lecture récente qui m’a donné à penser. Il s’agit d’une conférence d’Emmanuel Gabellieri sur la philosophe Simone Weil, morte en 1943 (à ne pas confondre avec sa quasi homonyme l’ancienne ministre Simone Veil). Ayant rejoint la France libre à Londres en 1942, Simone Weil s’interrogeait sur la manière la plus adéquate de répondre au totalitarisme nazi. Et elle était convaincue qu’il ne suffisait pas de combattre Hitler avec les seuls moyens de la guerre classique, mais qu’il fallait répondre à la mystique hitlérienne par une autre mystique. En effet, pour elle – et c’est le point essentiel, qui choqua beaucoup de gens à l’époque – le nazisme proposait une mystique, et c’était elle qui fanatisait les jeunes SS. Elle écrit à leur sujet : « prêts non seulement à risquer leur vie, mais à mourir, [ils] sont animés par une autre inspiration que le reste de l’armée [allemande], une inspiration qui ressemble à une foi, à un esprit religieux. »
Pour répondre autrement que par les armes à cette mystique qui poussait au sacrifice total, Simone Weil suggérait de proposer une autre mystique dans ce qu’elle qualifiait de « guerre spirituelle ». Son idée était celle d’un corps d’infirmières « de première ligne » qui non seulement soigneraient les blessés, mais opposeraient au fanatisme des SS un service d’humanité et un esprit de sacrifice animé, non par le culte de la force, mais par ce qu’elle appelait une « tendresse maternelle ».
Le projet de Simone Weil fut rejeté d’emblée, et de Gaulle la traita de « folle ». Elle devait d’ailleurs mourir quelques mois plus tard. Mais ce qui m’a touché en découvrant cette initiative effectivement peu réaliste, c’est qu’elle met en lumière une des plus tragiques déficiences de notre époque. La jeunesse, qu’elle en soit ou non consciente, est toujours à la recherche d’une mystique. Et le moins qu’on puisse dire est que notre société ne lui propose rien de tel… Comment s’étonner que certains soient fascinés par les discours terroristes, ou se muent dans nos « quartiers sensibles » en chefs de bande et en assassins potentiels ? Il y a certes des fausses mystiques, des mystiques de mort, mais il n’y a pas d’humanité sans mystique : ne pas proposer de mystique, c’est à coup sûr entraîner vers la mort.