Jasmine* en a parcouru des kilomètres. Partie de Damas, sa ville de naissance, en 2011, cette Syrienne de 31 ans est arrivée en France il y a deux ans, après être passée par la Jordanie, l'Égypte, la Turquie. À chaque frontière, une crainte : celle de devoir retourner en arrière.
La révolution, il y a 10 ans, Jasmine s'en souvient très bien aujourd'hui, depuis son appartement parisien. Enceinte de sa fille, elle regardait ce soulèvement populaire à travers son écran de télévision. Comme dans les pays voisins, et ici contre le régime de Bachar al-Assad, c'était une révolution qui remplissait les Syriens d'espoir. "Pour nous c’était très très très bien. En Egypte, au bout de 25 jours de manifestations, Moubarak a quitté le pouvoir. Donc nous, quand elle a commencé, on a dit 'ça va prendre 5 ou 6 mois et on va réussir à détruire le pouvoir'. On était très heureux car c’était un grand tabou à la base de juste donner notre opinion", témoigne Jasmine.
Mais rien ne s'est passé comme prévu. La révolution pacifique s'est transformée en violence et répression de la part du régime, puis des années de terrorisme islamiste. Jasmine, son mari et sa fille ont dû partir dès le début. Il était journaliste et menacé par le pouvoir. Ils ont alors pris la voiture direction la Jordanie.
Depuis l'Égypte, elle découvre que la guerre civile débute dans son pays. La déception et l’horreur. Plus de 388.000 Syriens sont morts en 10 ans de guerre, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Des milliers de Syriens sont en prison. "J’imaginais qu’on allait être sans ce dictateur. Maintenant c’est juste comme 'a slap in the face' [une claque dans la figure, NDLR]. Beaucoup de gens sont morts. La Syrie, maintenant c’est vraiment une catastrophe de vivre là-bas, c’est comme un cauchemar", regrette la réfugiée de 31 ans.
Elle est aujourd'hui en sécurité, en France où elle a obtenu un titre de séjour. Elle étudie désormais à Sciences Po Paris et sa fille va à l’école. Mais la vie est loin d'être facile. Séparée de son mari, elle élève sa fille seule et tente de se reconstruire. "C’était un défi car d’être seule avec ma fille c’est trop difficile. Les gens ont une mauvaise image des réfugiés. Ils ont peur d’avoir une relation avec quelqu'un qui est réfugié", déplore-t-elle.
L'une des étapes les plus difficiles a été d'obtenir un titre de séjour, dans une administration complexe, surtout quand on ne parle pas français. Jasmine a été aidée par l'association Revivre qui accompagne depuis 2004 les Syriens qui fuient le régime Assad. "La Syrie c’est un drame absolu quand on voit le nombre de morts. Il y a des gens qui ne savent pas ce que sont devenus leurs enfants. Nous avons des cas de mères qui ne savent même pas si leurs enfants sont encore en prison. Ces gens-là souffrent", affirme le président d'honneur Michel Morzière. L'association organise un concert en ligne ce dimanche soir à l'occasion des 10 ans du début de la guerre.
Ces réfugiés, comme Jasmine, sont des millions dans le monde. Certains ont dû traverser la Méditerranée par bateau, d’autres sont en centre de rétention. Tous sont confrontés à de nombreuses difficultés, qui ne s’arrêtent pas une fois le point d’arrivée atteint. C’est aussi ce qu’a vécu Hakim, un Syrien parti de Damas jusqu’en France. Il est devenu le personnage principal de "L’Odyssée d’Hakim", trois tomes de bande dessinée aux éditions Delcourt, écrite par Fabien Toulmé. Une histoire vraie avec pour objectif de mettre des visages sur un mot désincarné, celui de réfugié. "Je voulais juste que ceux qui le souhaiteraient puissent lire cette histoire et comprendre ce qu’il passe quand on est dans un pays et que tout d’un coup tout bascule et qu’on doit tout quitter. Le terme réfugié est très golbal et très désincarné. c’est surtout des hommes et des femmes", explique Fabien Toulmé.
Malgré tout, Jasmine garde espoir. "Je n'imagine pas qu’on a fait tout ça pour rien. Je crois qu’on retournera un jour en Syrie pour créer la Syrie qu’on a toujours rêvé de faire", confie-t-elle. 10 ans après la révolution, les blessures des Syriens sont encore immenses. Leurs espoirs aussi.
* À la demande de la personne, le prénom a été modifié.
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