Jusqu’au 17 juillet, le Rwanda commémore l'un des massacres les plus sanglants du XXe siècle. 30 ans se sont écoulés depuis le début le génocide perpétré contre les Tutsis. C’est l’heure du bilan : pour ceux qui vivent ensemble dans un même pays après ces horreurs, et notamment toute une génération qui n’a pas directement connu le génocide. Comment les habitants vivent-ils avec la mémoire de ce massacre, coupable de près d’un million de morts ? Peut-on vraiment reprendre une vie ensemble ? Face au mal, quelle réconciliation est possible et comment ?
Depuis trente ans, des enfants ont grandi orphelins, ou avec des parents pour les uns rescapés ou pour les autres bourreaux… En tout cas, beaucoup se taisent. Alors que faire face au silence ? « Ma première réaction a été d’essayer de comprendre ce qui s’était passé chez moi avec mon peuple, au Rwanda là où j’avais vécu pendant 21 ans » explique Assumpta Muguiraneza qui est repartie vivre à Kigali où elle a créé le Centre IRIBA, un lieu qui récolte et diffuse des archives audiovisuelles. « Je fais partie des victimes. Mais je porte la responsabilité d’une génération, même si je ne pouvais rien faire à l’époque. Comment a-t-on pu en arriver là, par quelle voie de déperdition nous sommes nous retrouvés pour connaitre un génocide au cœur de notre cité ? » s’interroge celle qui avait 27 ans à l’époque et qui a mené depuis un long travail avec la réalisatrice Anne Aghion sur les tribunaux dans les villages, les « Gachacha ».
Pendant trois mois, au Rwanda comme en France, des commémorations vont permettre de faire mémoire. Ce temps est particulier, il est celui du bilan, des questions, des témoignages et du rapport à l’histoire. Pour toute une génération se pose la question de la transmission des récits et des événements qui ont eu été perpétrés sur les lieux mêmes de leur vie. S’il est encore difficile pour les proches d’en parler, comment faire connaître et apprendre ce que fût le génocide dans les écoles ? Et pour ceux qui ont vécu, vu , entendu le génocide, comment vivre avec ce traumatisme ?
Je fais partie des victimes. Mais je porte la responsabilité d’une génération, même si je ne pouvais rien faire à l’époque
Quand certains se murent dans le silence, dans l’incapacité de faire avec l’indicible, d’autres s’engagent dans le pays de leur enfance qu’ils avaient parfois quitté depuis plusieurs années. « J’ai été très affecté par ce qui s’est passé, et j’ai vite rejoins une organisation sociale pour contribuer à la guérison sociale des rwandais », témoigne Félix Bigabo, revenu à Kigali et désormais chargé des programmes de Prison Fellowship Rwanda. Félix Bigabo œuvre à la réconciliation « Nous travaillons à réintégrer les anciens prisonniers dans les communautés. La justice réparatrice, qui œuvre auprès des survivants et des condamnés est un travail sur le long terme ». Depuis 2004, l’association œuvre à faire vivre ensemble descendants de tueurs et de victimes en leur fournissant une habitation, une petite parcelle de terrain afin que les habitants puissent vivre d’agriculture (maïs, haricots, bananes…), d’élevage (vaches, chèvres..) ou de travaux de maçonnerie.
« La plupart n’avaient plus d’abri, des orphelins erraient dans les rues, alors rendre possible la réconciliation était une nécessité » considère Espérance Patureau, qui a perdu une grande partie de sa famille lors du génocide. Elle est aujourd’hui présidente de la cellule locale de l’association « Ibuka » en France qui signifie “souviens toi”.
La plupart n’avaient plus d’abri, des orphelins erraient dans les rues, alors rendre possible la réconciliation était une nécessité
L’association Ibuka lutte pour la mémoire, la justice, l’aide aux rescapés, la lutte contre le négationnisme et le révisionnisme, l’éducation et la transmission.
Le travail de mémoire sur le génocide est aussi indispensable pour imaginer un avenir sur les mêmes terres et empêcher que d’autres ne puissent avoir lieu. « Au fond c’est la question du mal qui est posée à chacun de nous, souligne Cathy Leblanc, professeur de philosophie à l’Institut Catholique de Lille. Ses travaux de recherche portent sur la barbarie et la déshumanisation. « L’interrogation porte sur l’origine de ce mal, un génocide peut avoir des racines très lointaines. Dans tous les cas, il est clairement définit : il s’agit d’un plan concerté de destruction d’un groupe humain ou d’une communauté ». Lancées depuis le 7 avril, les commémorations se poursuivront jusqu’au 15 juillet, date marquant la fin des massacres.
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