"C’est la pire chose que j’ai jamais vue, ni rêvée" explique celui qui a été choisi pour être le dernier Tutsi. "Sur nos collines, le 24 avril 1994, cela faisait déjà une dizaine de jours que le génocide avait été déclenché. J’étais avec les dix membres de ma famille : mon père, ma mère, et huit enfants. Ils nous ont trouvés, et ils ont décidé de tuer tout le monde. Arrivé sur la colline où ils nous amenaient, ils ont tué mon père devant mes yeux, mon oncle, et moi, j’ai demandé qu’on me tue à coup de machette au lieu du marteau à bois. Ce sont eux qui ont décidé de me laisser, et de me réserver quand tous les Tutsis auraient été exterminés" explique-t-il.
Charles Habonimana est persuadé qu’il est encore en vie aujourd’hui grâce à Dieu. "Je suis un croyant depuis toujours. J’ai survécu jusqu’à ce que l’armée du FPR arrive fin juin. Ils m’ont sauvé, mais j’ai fui comme les autres" ajoute-t-il. Aujourd’hui encore, il n’a rien oublié de ce qui s’est passé. "Le cerveau d’un enfant de 12 ans ne peut pas effacer ce qui se passe, surtout de grands événements comme ça. Ce qui m’étonne encore, c’est comment les gens se sont transformés en diables. C’était des amis" précise-t-il.
Dans son ouvrage, "Moi, le dernier Tutsi" (éd. Plon), Charles Habonimana explique que les enfants ont à la fois été les principales victimes du génocide, mais également les plus nombreux à s’en sortir. "Plus de 60% de la population rwandaise a moins de 30 ans. Les enfants sont nombreux. Ils avaient été ciblés dans ce génocide. Mais puisqu’ils sont petits, ils ont aussi pu échapper n’importe comment. Ils se sont cachés dans des milieux impossibles. Cela nous a permis de survivre" explique-t-il.
Sur son expérience, et aujourd’hui sur son témoignage, Charles Habonimana estime qu’il faut assumer. "Il y a des responsabilités collectives, des responsabilités politiques. Il y a eu du laisser-faire. Quarante ans après, le monde dit "plus jamais". Mais le "plus jamais" n’existe pas. Quand je vois la France, son silence absolu dans cette histoire, j’appelle le peuple à parler. Il y a eu un génocide de plus d’un million de morts, avec une complicité française. Nous devons assumer les responsabilités" lance-t-il.
Ecrire ce livre n’a évidemment pas été chose facile, mais cela a renforcé son auteur. "Quand je témoignais avant, je ne mettais pas de détails. Il y a des choses sur lesquelles je passais. Je ne voulais pas les voir dans mes yeux. L’écriture de ce livre m’a renforcé. J’évoque des choses impossibles à dire. Certaines personnes me disent qu’ils n’arrivent pas à passer la page 40. C’est horrible, mais c’est mon histoire" confie Charles Habonimana.
Aujourd’hui dans son village, les rescapés vivent avec leurs bourreaux. Une chose difficile à entendre. "C’est possible car c’est un choix. Les gens sont sortis de prison, ils ont purgé leur peine. On vit ensemble, comme toujours. Mais il y a un peu d’écart. C’est un choix de réconciliation. On ne peut pas diviser un pays en deux, il faut toujours vivre ensemble, même si on sent une peine. C’est comme ça. On parle de pardon, de choix, et de tolérance. On ne peut pas se venger" conclut-il.
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