Tout ça pour rien ? Malgré les demandes des manifestants d’un changement radical en matière de politique intérieure, c’est finalement un homme du sérail, Abdelmadjid Tebboune qui a été élu président le 12 décembre dernier à l’issue d’un scrutin boudé par une majorité d’Algériens. Un an après le début du Hirak, qu’en est-il des espoirs de changement rêvés par des citoyens excédés par les conséquences de la corruption et du clientélisme sur la santé de leurs pays ?
"L’État algérien est considéré par les autorités comme l’objet d’une conquête suite à la guerre d’indépendance, et donc comme le bien le plus précieux de la nation algérienne. Tout ce qui attente à la stabilité de cet État est presque considéré comme un mal absolu. Durant les années 90, pendant la guerre civile, l’État ne s’est pas effondré. En revanche il a été menacé. Au nom de sa défense et de sa stabilité, une guerre impitoyable a été menée aux islamistes. Aujourd’hui, l’État et la population aussi se félicitent de ne pas être tombé dans ce trou noir" explique Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon Sorbonne, spécialiste du Maghreb, auteur de "Déni Français" (éd. Albin Michel), au sujet du Hirak.
Ce mouvement populaire a, il faut le rappeler, néanmoins fait preuve d’une grande maturité. Une maturité dictée par l’histoire pour Pierre Vermeren. "Il faut se rappeler que les années 90 en Algérie ont laissé un profond traumatisme dans la population. On s’était étonné que les Algériens ne bougent pas pendant le Printemps arabe. En réalité ils restaient traumatisés par ce qu’ils avaient vécu. On est reparti sur des bases nouvelles. Il y a une euphémisation. De fait, il n’y a pas eu de violences" ajoute le spécialiste.
Le président actuel, Abdelmadjid Tebboune, n’est en effet pas critique envers le Hirak. Il faut dire qu’il n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir, sans ces circonstances particulières. Le chef de l’Etat algérien cherche aussi sans doute à reprendre le Hirak à son compte. Mais c’est un dialogue de sourds. "D’un côté les manifestants demandent un État de droit, une nouvelle Constitution, des élections libres. Et de l’autre côté Tebboune affirme que tout a été obtenu avec le départ de Bouteflika et la mise en prison des principaux chefs mafieux" lance Pierre Vermeren.
Le président Tebboune a même promis une réforme constitutionnelle avant l’été. La société civile devrait même être mise à contribution. Pendant un long moment, la Constitution n’a plus été respectée. Aujourd’hui cela a changé. Mais, rappelle Pierre Vermeren, "la Constitution actuelle n’est pas démocratique. La vraie question est de savoir si les Algériens vont pouvoir choisir leurs députés, si les partis politiques qui sont à terre aujourd’hui vont pouvoir se reconstruire".
Cet embryon d’évolution ne se sera pas fait néanmoins sans heurts. Provocations policières, arrestations arbitraires... On estime à 150 le nombre de participants au Hirak encore en prison, et à un millier le nombre de citoyens empêtrés dans des affaires judiciaires, jugés ou condamnés.
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