C'est un texte qui a beaucoup fait réagir, notamment du côté de la défenseure des droits, Claire Hédon. Mais aussi à l’international : trois experts du conseil des droits de l’Homme des Nations Unies ont mis en garde la France contre les atteintes portées notamment au droit à la vie privée, au droit à la liberté d’expression et d’opinion ou encore au droit à la liberté d’association et de réunion pacifique.
"Ce texte recèle un ensemble de dispositions extrêmement liberticides, s'inquiète Sarah Massoud, la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. Pour beaucoup, ces dispositions vont avoir des conséquences sur la gestion du maintien de l'ordre, qui n'est pas un maintien de l'ordre de la désescalade."
Cette proposition de loi, qui doit solennellement être votée ce mardi 24 novembre à l'Assemblée nationale, contient plusieurs mesures, notamment pour élargir le recours à la sécurité privée, ou encore pour encadrer l’usage des drones pour faciliter la surveillance des manifestations sur la voie publique.
Mais une disposition met particulièrement le feu au poudre : l’article 24, qui prévoit de punir d’an de prison et de 45.000 euros d’amende la diffusion de "l’image du visage ou de tout autre élément d’identification" d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter "atteinte à son intégrité physique ou psychique".
Disposition très contestée, mais que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a défendu coûte que coûte à l’Assemblée. Même s'il n’est pas le seul à l’avoir voulue. "Ça ne peut pas être la lubie d'un ministre de l'Intérieur, ça a été forcément discuté avec la Chancellerie", rappelle Alexis Massart, directeur de l’école européenne de sciences politiques et sociales de l'Université catholique de Lille.
Pour calmer la gronde, un amendement gouvernemental a précisé que cet article 24 ne pouvait pas porter préjudice au droit d’informer. Malgré tout, les rédactions se sont inquiétées des propos récemment tenus par le ministre de l’Intérieur. Dans une tribune publiée la semaine dernière, de nombreux médias ont prévenu qu’ils refuseraient d’accréditer des journalistes pour couvrir les manifestations. "Il y a un autoritarisme de l'État qui ne sait pas se faire respecter, s'agace Emmanuel Poupard, le premier secrétaire général du syndicat des journalistes (SNJ). On a l'impression que de vouloir protéger les forces de l'ordre revient à protéger le gouvernement qui en est état d'urgence permanent dans ce pays depuis plusieurs années."
La France est-elle pour autant un pays autoritaire ? Non, selon Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches politiques de Sciences Po. "Dans un régime autoritaire, vous avez une limitation des libertés publiques, vous n'avez pas d'indépendance de la justice, vous avez une censure sur la presse, parfois vous avez un régime de parti unique", explique-t-il.
Pour Jean-Pierre Denis, le directeur du développement éditorial du groupe Bayard, le problème, c’est surtout l’accumulation des restrictions, justifiées notamment par le contexte sanitaire ou sécuritaire. "C'est une tendance de l'époque à donner des petits coups de canif aux libertés publiques qui, parfois, sont justifiés. Le tableau général me semble inquiétant. Il faut résister ou en tout cas, il faut faire extrêmement attention", alerte-t-il.
Pour faire attention, il y a bien sûr le contrôle des institutions, et notamment du Conseil constitutionnel, comme le rappelle Dominique Chagnollaud, constitutionnaliste. Il pointe toutefois la faiblesse du contrôle parlementaire. "Dans les autres démocraties proches de nous, comme la Grande-Bretagne, le Parlement est associé de très près par des votes, des consultations, explique-t-il. En France, c'est un système de plus en plus vertical et qui n'associe pas le Parlement. La France est le pays en Europe où le contrôle parlementaire est le plus faible."
Autre phénomène qui explique peut-être aussi ce sentiment d’un État prédominant : le contexte constitutionnel et politique, qui est favorable à Emmanuel Macron, d’après Luc Rouban. "Ce que nous vivons actuellement, c'est une certaine interprétation de la Ve République qui donne au Président beaucoup de pouvoir dans un cadre parfaitement légal, rappelle-t-il. Emmanuel Macron a la majorité avec lui. Vous avez une configuration insitutionnelle et politique très particulière." Quoi qu'il en soit, la proposition de loi sur la sécurité globale pourrait arriver au Sénat en janvier 2021.
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