Aux Antilles, la mobilisation contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire ne faiblit pas. La Guadeloupe et la Martinique sont devenues le théâtre de fortes tensions et d’affrontements avec les forces de l’ordre. Le gouvernement appelle au calme mais le dialogue semble rompu. La colère des Guadeloupéens et des Martiniquais concerne plus largement le coût de la vie.
Tout a commencé par un appel à la grève générale en Guadeloupe lancé lundi 15 novembre par un collectif de syndicats, contre l’obligation vaccinale pour les soignants et le passe sanitaire. Au CHU de Pointe-à-Pitre, 566 soignants ont été suspendus selon les chiffres de l’hôpital. Une situation qui provoque une très forte colère, traduite dans les rues par des barrages, des blocages, des pillages dans certains magasins et même des scènes de violence la nuit. La situation s’embrase.
Mais tout ne tient pas au seul vaccin. Le contexte économique est très tendu. "Le peuple souffre, les jeunes sont en difficulté. Le taux de chômage en Guadeloupe augmente considérablement. Il est de plus de 30 % et les jeunes c’est plus de 61 %. Alors quand en plus de ça, ils licencient des milliers de salariés, on va vers le chaos social", déplore Maïté Hubert M’Toumo, la secrétaire générale de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG).
La mobilisation prend de l’ampleur et a même gagné lundi l’île voisine de la Martinique. Là-bas aussi, un appel à la grève générale a été lancé, avec son lot de violences. Dans la nuit de mercredi à jeudi, en Martinique la situation s’est particulièrement envenimée, avec de plus en plus de barrages routiers.
La nuit précédente, des policiers et des gendarmes ont été la cible de tirs. Ils demandent aujourd’hui des renforts. "Lorsque vous êtes l’autorité qui doit assurer la sécurité des citoyens, et que les hommes du terrain vous disent qu'il y a un manque d’effectif et de matériel… On nous dit souvent ‘Mais oui, vous aurez ce qu’il faut’, sauf que les policiers martiniquais sont fatigués. En face les voyous sont organisés, il y a un déséquilibre entre les forces", s'inquiète Claude Copel, secrétaire régional du syndicat de police Unité SGP FO Martinique.
Des gendarmes, des membres du RAID et du GIGN ont quant à eux été envoyé en Guadeloupe. Les policiers, eux aussi, se sentent donc abandonnés.
Chez les personnes mobilisées, il y a le sentiment d’être très loin de l’Etat et pas entendus. Il y a une forte défiance vis-à-vis de l’Etat, et donc vis-à-vis de l’incitation à la vaccination. Seulement 35 % des Guadeloupéens sont entièrement vaccinés alors que la moyenne nationale est de 69 %.
Une défiance qui peut s’expliquer par les pénuries d’eau très importantes sur l’île mais aussi le scandale du chlordécone, un puissant insecticide utilisé pendant des années dans les bananeraies et responsable aujourd’hui de cancers. "L’empoisonnement est là pour des générations selon les études scientifiques. C’est aussi l’empoisonnement de la terre, ce que vous mangez est empoisonné. Ce pesticide a fait que le taux du cancer de la prostate est le plus élevé de toutes les régions de France. Ce sont des scientifiques qui ont alerté et malgré cela l’épandage avait continué", retrace Françoise Vergès, politologue des Outre-Mer et militante décoloniale.
Face à ces difficultés, le gouvernement veut convaincre les réticents, dans un contexte où beaucoup de fausses informations circulent sur les réseaux sociaux. L’exécutif a même annoncé l’envoi de vaccin sans ARN messager. Mais selon la secrétaire générale de l’UGTG, ça ne change rien. Le syndicat revendique le droit de choisir. Ils demandent la levée de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire.
Qu’il s’agisse de la Guadeloupe ou de la Martinique, le passé colonial est encore très présent et il peut expliquer cette forte défiance envers l’Etat et ce sentiment d’être peu considérés. "La mission civilisatrice française coloniale établissait chez les Français la conviction profonde qu’ils savent mieux ce qui est bon, sans tenir compte de ce que les gens savent, de leurs propres capacités. L’esprit colonial n’a pas disparu dans les mentalités des haut fonctionnaires", affirme Françoise Vergès.
D’autres membres de la politique sont en tout cas convaincus que les choses doivent changer. Philippe Gosselin était allé en Guadeloupe, en septembre dernier, avant que la contestation n’explose, pour une mission d’information sur la situation économique, sociale mais aussi épidémique de l’île. Le député les Républicains de la Manche et vice-président de la commission des lois en avait d’ailleurs fait un rapport.
Il estime aujourd’hui qu’il faut créer un nouveau pacte pour repenser les compétences accordées à ces territoires. "Ça s’exprime par la confiance, la différenciation territoriale. On a des îles qui sont à distance et on ne peut pas gérer comme quand il y a une continuité territoriale. Ça passe par de nouvelles compétences, des statuts différents, ce qui n’est pas l’indépendance. Il y a une attente et un besoin d’autonomie", détaille l’élu.
Pour l’heure, aucun déplacement de ministre n’est prévu sur place. Une faute aux yeux de Philippe Gosselin et des syndicats. En Martinique, l’intersyndicale a reçu une invitation à une rencontre jeudi à 10 h (15 h à Paris) avec le préfet et le président du conseil exécutif.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !