Dans la région des Grands Lacs, le Burundi est secoué par une grave crise politique depuis plusieurs années. Pour l'instant, l'équilibre reste précaire. Dans un tel contexte, le respect des droits humains ne va pas de soi. C'était l'objet d'une carte blanche publiée en juillet dernier par Justice et Paix. Delphine Freyssinet a reçu Alejandra Mejia Cardona, responsable prévention des conflits en Afrique centrale pour Justice et Paix.
Quand on pense aux enjeux de paix et de démocratie dans la région des Grands Lacs, on imagine que tout se joue en République Démocratique du Congo. Pourtant, fait remarquer Alejandra Mejia Cardona, il faudrait plutôt se tourner vers le Burundi. RDC, Rwanda et Burundi sont historiquement liés et s’influencent mutuellement. Dès qu’il y a un pays qui s’embrase, les deux autres en ressentent les secousses. Dans ce contexte, le Burundi pourrait être une clé du changement, note Alejandra Mejia Cardona. Avec en perspective les élections législatives dans le pays en 2025. Ces élections pourraient être l’occasion d’instaurer un nouveau modèle de fonctionnement dans la région : un modèle ouvert sur l’extérieur, fondé sur la diplomatie et sur le respect des droits humains.
Un changement de surface
Dans son discours d’investiture en 2020, le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, a manifesté une volonté de mise en place de réformes pour une meilleure gouvernance. Mais aussi pour la liberté d’expression, la protection des droits humains et la lutte contre la corruption et l’impunité. Malgré cela, les organisations de défense des droits humains qui sont présentes au Burundi constatent que le changement n’est pas si évident. Les discours semblent dirigés, avant tout, vers la communauté internationale, pour sortir le pays de l’isolement. Il faut dire qu’en interne, le président Évariste Ndayishimiye doit faire avec l’héritage de son prédécesseur Pierre Nkurunziza. Au sein même de sa famille politique, il doit faire face à des oppositions. Il y a une lutte pour le pouvoir au sein du CNDD-FDD, le parti au pouvoir, note Alejandra Mejia Cardona. Le changement annoncé est donc lent à se mettre en place. La responsable de Justice et Paix insiste : au Burundi, même s’il y a eu quelques avancées pour les droits humains, on continue encore à avoir des cas de tortures, beaucoup de persécutions envers les opposants au CNDD-FDD, et des restrictions envers la presse et la société civile. On ne peut pas nier les changements, remarque Alejandra Mejia Cardona, mais il reste encore beaucoup à faire. Le rapporteur des droits humains de l’ONU pour le Burundi a soumis le 23 septembre dernier son rapport à Genève. Dans ce rapport, on peut lire qu’il y a encore des violations qui font craindre pour la stabilité du pays. Un rapport qu’il n’a pas pu constituer en se rendant sur place, mais sur base de témoignages de la diaspora ou de rencontres virtuelles. Cela en dit long sur la réelle situation dans le pays, note Alejandra Mejia Cardona.
Des retours pas forcément volontaires
Le gouvernement burundais invoque un autre argument fort pour redorer son image internationale : le nombre de rapatriements des Burundais et Burundaises en exil. Selon les autorités burundaises, il s’élèverait à 200.000 personnes depuis 2017. Ces statistiques des retours volontaires ont été favorables à la levée des sanctions en février 2022 par l’UE. Mais, fait remarquer Alejandra Mejia Cardona, la notion de retour ‘volontaire’ laisse à désirer. Un grand nombre de Burundais réfugiés en Tanzanie ont été rapatriés de force après avoir fait l’objet de violations flagrantes de leurs droits humains. D’autres n’ont pas eu le choix : ils ont dû revenir au pays suite à l’aggravation des conflits dans les pays voisins. De retour au Burundi, la réinstallation des rapatriés constitue là encore un immense défi. Le pays reste meurtri par l’insécurité alimentaire, le chômage, l’accaparement des terres, les faibles taux de scolarité, et l’extrême pauvreté.
Les élections législatives qui se profilent en 2025 seront l’occasion pour encourager les Burundais à croire à nouveau au processus démocratique. Convaincre la population de l’importance d’aller voter sera l’un des grands défis de la campagne électorale.
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