Des enfants jouent au milieu des jets d’eau. Mais c’est une photo qui n’est pas aussi banale que sa description semble le dire. Elle est spectaculaire, pas si facile à décrire. D’abord, on ne voit pas le ciel, on ne voit pas le décor. Ce qu’on voit ce sont des verticalités, des jets d’eau qui pointent tous vers le haut, et des silhouettes d’enfants, eux aussi dressés au milieu de cette explosion liquide. L’image est cadrée de telle façon qu’on a aussi l’impression que cela continue à gauche, que cela continue à droite, qu’il y a de l’eau et des enfants partout.
On dirait que c'est une photo en noir et blanc, car l’eau est blanche, les jets qui se dressent, les gouttes d’eau qui retombent, les flaques sur le sol. Tout est blanc. Les silhouettes, elles, sont noires. Mais si on regarde attentivement, on voit qu’une petite fille accroupie a une jolie robe rouge. C’est la seule petite trace de couleur dans cette immense panorama… Car il y a tout de même un vingtaine de personnages dans l’image, une fille qui croise les jambes, un garçon qui reçoit de l’eau en plein visage, un autre qui court, une dernière qui tombe à genou. Mais on a cet effet de noir et blanc, car la lumière est crue, la lumière est forte. Les enfants sont à contre-jour et les gouttes d’eau rayonnantes de lumière. Ce noir et blanc réussit à traduire la chaleur. C’est ce qui rend cette photo très forte. Deux couleurs seulement : le noir et le blanc. Une façon de se tenir seulement : bien droit, que l’on soit quelqu’un ou un jet d’eau. Cela donne une dimension artistique à une scène de la vie quotidienne, cela fait basculer une photo d’actu vers le tableau artistique
Cette photo a été réalisée par Valérie Hache, de l’Agence France-Presse. Pas une artiste, donc, une journaliste. Mais elle savait bien que la météo, les fortes chaleurs, c’est un sujet qui fera la une de l’actualité. Ca nous fait parler, ça concerne tout le monde… Mais ce n’est pas facile à illustrer. Cette scène-là dit la chaleur, sans l’étouffement. Elle dit le grand soleil, sans la sueur. Elle est joyeuse, elle est drôle, on a envie d’avoir 11 ans et d’être à leurs places. Elle rappelle aussi les photos de Weegee, le grand photographe américain qui a capté dans les années 30 des enfants pauvres, jouant dans les rues de Harlem ou du lower east side, en culottes ou les vêtements trempés, en train de s’arroser avec des jets d’eau, ou en ouvrant les bornes à incendie dans la rue. La même chaleur étouffante, le même décor urbain très minéral, et la même part de jeu. Ça le changeait Weegee, parce que c’était un reporter habitué aux faits divers, aux crimes sordides, aux assassinats en pleines rue. Alors ces sourires-là, ça faisait du bien. Et après des semaines et des semaines d’actualités si rudes, ces enfants qui jouent dans les jets d’eau, à nous aussi, ça fait du bien.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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