« Veillez ».
Cet appel trouve une singulière acuité en ces temps chahutés par de tels désordres sanitaires et sociaux que bien des données sont bouleversées et bouleversantes pour ceux confrontés à la pauvreté.
L’avenir est incertain. Il n’est pas inexorablement sombre. Voyons dans cette crise des brèches qui sont comme des fenêtres. A les ouvrir, peut-être notre regard se modifiera-t-il si nous voulons bien l’aiguiser par une posture de veille.
Que de crises conduisent les veilleurs à susciter de nouveaux possibles !
Veiller, ce n’est point avoir un regard nostalgique sur ce qui fut et s’efface progressivement, mais concourir à faire du neuf. Qu’en est-il en ces heures ? Il existe, avec, par exemple, l’attention portée aux investissements durables venant soutenir la transition écologique.
Au cours des deux premiers mois de l’année - qui n’étaient pas encore marqués par la trace d’un funeste virus - que de demandes sociales sont restées sans écho. Une veille bruyante qui s’est terminée par un mutisme qui a abimé le climat social.
La pandémie installée, s’est éveillé un inespéré se traduisant par ce ‘quoi qu’il en coûte’, le primat de la vie l’emportant sur toute autre considération.
Une veille s’est fait jour. A celle des soignants, s’est ajoutée une avancée sur le plan éthique et géopolitique conférant à l’Europe une solidarité qui n’est pas sans lui redonner sa raison d’être.
Ainsi a surgi un réveil marqué par un espoir partagé. Ces jours de l’après, disions-nous. La frugalité s’est imposée. L’avidité est mise au pas pour être reconnue comme l’un des excès, dans ce désir de puissance du ‘tout’ et du ‘tout de suite’, imputables pour partie à la crise sanitaire.
Veiller, c’est prendre le temps du discernement. N’offre-t’il pas la surprise d’une intériorité, jamais indifférente à un réveil, d’où des déplacements inattendus intervenant alors que le coronavirus nous mettait tous à l’arrêt.
De ce voyage intérieur, nous comprîmes mieux que nos citadelles, refuge de nos peurs et de nos crispations, se lézardaient ; une lumineuse fragilité a réveillé le passage des certitudes aux convictions.
Veiller pour apprendre à tenir dans l’épreuve, à recueillir ce qui est juste pour ne point confondre sincérité et vérité, et débusquer le relativisme dans ce qui est présenté comme un absolu alors qu’il n’est qu’annonciateur, au mieux, de fidélités successives.
Dans cette veille est apparue la folie de ces heures de tranquillité illusoire, nous éloignant du réel au lieu de donner la préférence au virtuel glacé qui voudrait faire oublier les souffrances de tant de nos frères aux prises avec la misère. Nous n’aimons pas ce qui peut nous faire douter de nous-mêmes.
Comment ne pas entendre ici Nietzsche : « ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ».
L’avenir ne serait-il pas à imaginer dans l’émerveillement qui envahit le cœur lorsque nous regardons un petit enfant dormir. Qui n’a pas été saisi par l’innocence du visage. Le dur alors craque. Vient la question, que va devenir cet enfant et quelle société lui laisserons- nous. Les certitudes se dissipent ; quelque chose en nous mouille à la grâce, pour reprendre le mot de Péguy.
Un réveil inouï !
Kant a cette suggestion qui n’est pas indifférente à la veille : « agis de manière à toujours traiter l’humanité, soit dans ta personne, soit dans celle de l’autre comme une fin, jamais comme un moyen ».
Cette fin n’est pas un terme, elle est un appel à saisir la dynamique d’une fraternité. Là, s’éveille une ouverture née du rayonnement diaphane d’une présence infinie, présence de l’autre, reconnue parfois comme celle du Tout Autre.
Il s’agit de quitter ce que nous croyons être qui, finalement, se révèle un paraître. Alors, nous pouvons sortir de nos torpeurs, lit de bien des erreurs et parfois des horreurs pour ne point s’être laissé réveiller par l’inacceptable.
Veiller, une belle aventure pour une humanité transformée et suffisamment humble pour ne point se penser comme augmentée.
Bernard Devert
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