De Princesse Mononoké à Mon Voisin Totoro en passant par Le Voyage de Chihiro et en allant jusqu’à son dernier long-métrage, sorti le 1er novembre, Le Garçon et le Héron, le cinéma de Hayao Miyazaki est protéiforme. Il conduit à des réflexions tantôt sur la guerre, tantôt le progrès, tantôt notre façon de faire société, il fascine par ses machines volantes et transcende par ses héroïnes. Parmi les thèmes clé du pape de l’animation japonaise, se trouve le rapport entre la nature et l’humanité. Loin d'idéaliser une nature originelle, Miyazaki dépeint un environnement dans lequel humains et nature doivent cohabiter.
“Miyazaki n’est pas écolo” tranche directement Raphaël Colson, essayiste indépendant qui étudie le monde de Miyazaki depuis des années. “Pas dans le sens occidental du terme” complète-t-il. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le réalisateur japonais n’est pas une logique naturaliste. “Une des dimensions de l’écologie occidentale, c’est cette forme de naturalisme” souligne Raphaël Colson. “Lorsqu’on crée des parcs naturels, on déplace les autochtones et on préserve des morceaux d’écologie, des forêts intouchables, en détruisant tout ce qui se trouve à côté”. Ce n'est pas la vision de Miyazaki. “Il ne défend pas le retour à une forme de forêt originelle où il faut mettre l’homme de côté et laisser la nature respirer. Il travaille sur l’idée de cohabitation”.
“La nature n’est pas seule, elle existe avec les hommes” résume Alexandre Mathis, auteur de Un monde parfait selon Ghibli. “Tout fonctionne ensemble, l’humain ne doit pas s’effacer pour la nature, mais il doit trouver sa juste place. Il y a une compréhension globale du monde chez les héros de Miyazaki à la fois du côté humain et du côté animal et végétal” insiste-t-il. “Nausicaä n’est pas un personnage dans l’abstention dans son rapport à la nature, elle récupère les carapaces d’Ômu, les gardiens de la forêt toxique pour faire des outils” avance Camille Roelens qui mène des recherches en philosophie de l’éducation qui l’ont amené à étudier Miyazaki. “On est plus sur une notion d’échange raisonnable.”
En Occident, nous sommes sur un principe de domination de la nature
Il y a donc une approche humaniste de la nature et cette vision implique un besoin d’équilibre. Dans son livre, Hayao Miyazaki : cartographie d'un univers (nouvelle édition en préparation), Raphaël Colson, dresse, avec son coauteur, trois piliers qui font l'œuvre de Miyazaki : le rapport à la nature, à la société et à la civilisation. Et à chaque fois, on cherche l’équilibre entre ces trois piliers.
Parfois, l’harmonie est présente comme dans Mon Voisin Totoro, parfois l’équilibre est rompu comme dans Nausicaä et la Vallée du Vent ou dans Princesse Mononoké. On retrouve alors les héros de Miyazaki qui constituent un pont entre les différents piliers. “Dans une situation de conflit, Nausicaä ou Ashitaka [dans Mononoké], vont chercher l’équilibre” explique Raphaël Colson. “Je ramène l'œuvre de Miyazaki à l’application du taoïsme, la recherche de la voie du milieu.” Notre relation à la nature se caractérise donc par une quête d’équilibre chez le réalisateur japonais.
“Cette nature existe avec les hommes, mais également avec les esprits” complète Alexandre Mathis. C’est l’héritage culturel du shintoïsme qui est issu des croyances animistes japonaises. Cela explique la présence de dieu-cerf ou de gardien sanglier géant chez Miyazaki.
“Dans Le Voyage de Chihiro, il s’agit de nettoyer une rivière sauf que c’est l’esprit de la rivière qui arrive. C’est une incarnation visuelle qui lui permet de faire passer son message” ajoute-t-il. “Nous sommes dans cette spiritualité qui exprime cette présence notamment magique” exprime Raphaël Colson qui va plus loin. Selon lui, cela marque la différence par rapport à notre approche de la nature en Occident. “Nous sommes sur un principe de domination, car nous sommes en conflit avec la nature” , assure-t-il.
Raphaël Colson développe aussi l’idée de refuge dans la perception de la nature chez Miyazaki. “Il y a une notion d’espace fermé dans toutes ses œuvres avec un seuil, un passage, qu’il faut franchir et cet espace fermé, cet oku, permet ensuite aux personnages de se réfugier, de se protéger du monde extérieur. C’est la cabane au cœur de la forêt dans Kiki la petite sorcière, la forêt toxique chez Nausicaä, la maison dans la prairie dans le Château Ambulant”. Cette notion de jardin secret est donc liée à la nature chez Miyazaki. C’est elle qui nous régénère.
Cette recherche de l’harmonie se traduit également par le refus de tout manichéisme. “Souvent, les personnages pensent que la nature est vengeresse alors qu’en fait elle se défend parce qu'elle a été abîmée. Elle est puissante et dangereuse” analyse Alexandre Mathis. De plus, tout le monde a ses raisons dans l'œuvre de Miyazaki. “Il n’y a aucun pur méchant” abonde Camille Roelens. “Dans Princesse Mononoké, Dame Eboshi veut tuer le dieu-cerf et détruire la forêt, mais c’est pour faire de l’action sociale, car elle prend soin des lépreux, elle œuvre à la réinsertion d’anciennes prostituées et elle développe une vallée enclavée où les gens meurent de faim”.
Cette position complexe dans le rapport aux autres chez le cinéaste japonais induit une tension permanente pour trouver l’équilibre. “Il n’y a jamais de résolution finale et définitive” souligne Camille Roelens. “C’est un monde qui est intrinsèquement problématique, il n’y a pas d’harmonie préétablie donc elle exige une grande force morale et une grande raison, car ce n’est jamais parfait.” Le rapport à la nature n’est donc jamais naïf, ni utopique.
Les personnages qui portent cette quête d’équilibre sont tout le temps des personnages jeunes chez Miyazaki. Sur un spectre allant de l’enfance à l’adolescence. “Dès Nausicaä en 1984, il anticipe le fait que la jeunesse va porter ces revendications là” détaille le chercheur.
“Pour nous, qui connaissons Greta Thunberg, cela apparaît spontanément évident, mais ça l’était beaucoup moins dans les années 1980 lorsque l’écologie était incarnée par René Dumont qui n’était pas un perdreau de l'année. De manière précoce Miyazaki, identifie cette capacité d’une figure jeune, porteuse de certaines valeurs morales, à incarner une forme de responsabilité, face à laquelle les adultes ont failli” conclut Camille Roelens.
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