Ce sont sans doute les plus graves affrontements depuis la guerre de Gaza, en 2014. L’émissaire des Nations unies pour le Proche-Orient craint d’ailleurs une "guerre à grande échelle". Depuis le début du mois de mai, les tensions entre Israéliens et Palestiniens ne font que s’aggraver. Tout est parti de Jérusalem-Est, et plus précisément du quartier de Cheikh Jarrah, où des familles palestiniennes sont menacées d’expulsion au profit de colons israéliens. Une décision de la Cour suprême était attendue, avant d’être repoussée en raison du contexte inflammable.
"Le deuxième facteur de tensions, c’est le manque d’espaces publics, précise Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem. Et donc, surtout en période de Ramadan, les quelques espaces accessibles sont importants. Or, une grande agora située près de la porte de Damas a été interdite d’accès par des barrières métalliques. Les jeunes Palestiniens se sont donc mobilisés et l’accès a été rétabli quelques jours plus tard. Et puis le troisième facteur de tensions, c’est l’esplanade des Mosquées, où des Palestiniens ont voulu empêcher le regroupement de nationalistes juifs israéliens. Ils ont réussi, mais peu après, le Hamas a récupéré cette victoire en lançant des centaines de roquettes à un niveau d’intensité tel qu’Israël ne pouvait pas ne pas répliquer."
Une situation rendue d’autant plus délicate à cause du contexte politique auquel les deux ennemis sont confrontés. Côté israélien, après de nouvelles élections législatives, Benyamin Netanyahou n’a pas réussi à former un nouveau gouvernement. "Il sait que s’il ne reste pas Premier ministre, il risque d’être traîné en justice, analyse Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Donc il fait tout pour rester au pouvoir et la crise peut lui servir, en partant du principe que lorsqu’un pays est en difficulté sur le plan de la sécurité, l’opinion reste favorable aux autorités en place."
De l’autre côté, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a récemment décidé de repousser les élections législatives qui n’ont pas eu lieu depuis 15 ans. "Elles devaient conduire à une réconciliation inter-palestinienne, souligne Xavier Guignard, alors que le Fatah dirige la Cisjordanie, et le Hamas la bande de Gaza. Ce dernier peut jouer une carte en prenant l’initiative de mener des attaques contre Israël, ajoute le spécialiste de la Palestine au sein du centre de recherche indépendant Noria Research. Il le fait à un moment où l’Autorité palestinienne et le Fatah sont incapables d’émettre la moindre réaction. Donc le Hamas semble prendre le dessus sur cette séquence politique."
À ce contexte politique délicat, s’ajoute aussi un fait inédit : le risque d’une guerre civile en Israël. Les images diffusées en direct à la télévision, montrant un homme présumé arabe se faire lyncher par des militants d’extrême droite, près de Tel-Aviv, ont choqué la population. D’ordinaire, c’est surtout à Jérusalem que les Juifs et les Arabes s’affrontent. Mais cette fois-ci, les altercations se multiplient dans plusieurs villes d’Israël dites "mixtes". "La nouvelle génération palestinienne a grandi avec l’illusion d’une solution à deux Etats, donc elle se sent aujourd’hui bernée, estime Xavier Guignard. Et puis, c’est une génération qui refuse la division entre les différentes catégories de Palestiniens : ceux vivant à Gaza, à Jérusalem, en Israël, en Cisjordanie. C’est une génération qui renoue les liens, et qui est capable de se mobiliser peu importe où elle se trouve. Pour un problème ancré à Jérusalem, il y a aujourd’hui des manifestations partout, et c’est réellement nouveau." À tel point que Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense, a ordonné des renforts "massifs" au sein des forces de sécurité dans les villes mixtes d’Israël.
Du côté de la communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est déjà rassemblé à deux reprises, mais aucune déclaration commune n’a été adoptée pour l’instant… à cause des Etats-Unis. Washington a tout de même annoncé l’envoi d’un émissaire en Israël et dans les territoires palestiniens. Joe Biden s’est entretenu avec le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Mais le Proche-Orient ne faisait pas partie des priorités du nouveau président américain. "Comme Barack Obama, Joe Biden voulait faire de l’Asie le pivot de sa politique étrangère, rappelle Pascal Boniface. Mais il a été rattrapé par la réalité car, bon gré mal gré, les Etats-Unis sont impliqués au Proche-Orient, en étant le principal allié d’Israël. Est-ce que Joe Biden va faire pression sur l’Etat hébreu, en se disant qu’il ne fera qu’un mandat ? Peut-être un peu. Mais en tous les cas, c’est la fin d’un système où Israël pouvait tout faire en ayant le soutien inconditionnel de Donald Trump. Cette période est terminée, mais elle a produit des effets dont on paie le prix aujourd’hui."
En attendant, après avoir annoncé la présence de soldats dans la bande de Gaza, l’armée israélienne a fait marche arrière, en invoquant un "problème de communication en interne". Mais une offensive terrestre n’est pas à exclure.
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