De plus en plus présents dans l’actualité, les lanceurs d’alerte font encore face à de nombreuses difficultés, notamment juridiques et financières. Une proposition de loi, débattue dès mercredi 17 novembre à l’Assemblée nationale, prévoit de nouvelles mesures pour mieux les protéger.
À l’étranger, ils s’appellent Edward Snowden, Julian Assange ou, plus récemment, Frances Haugen. En France, on connaît notamment Irène Frachon, la pneumologue de Brest qui a révélé les effets secondaires du Mediator, ce médicament des laboratoires Servier utilisé comme coupe-faim, et qui aurait tué des centaines de patients. Comme elle, d’autres lanceurs d’alerte ont mis en péril leur carrière pour porter à la connaissance des citoyens des faits portant atteinte à l’intérêt général. Une proposition de loi visant à mieux les protéger est donc débattue, dès ce mercredi 17 novembre, à l’Assemblée nationale. Le texte doit permettre de reprendre les dispositions prévues par une directive européenne, que les États membres doivent transposer avant le 17 décembre.
Jusqu’à présent, en France, c’est la loi Sapin II, du 9 décembre 2016, qui contient des mesures concernant les lanceurs d’alerte. C’est d’ailleurs le premier texte qui définit clairement ce qu’est un lanceur d’alerte, à savoir "une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance".
Pour lancer une alerte, la loi Sapin II prévoit pour l’instant une procédure graduée : il faut d’abord faire un signalement en interne puis, s’il n’est pas traité dans un délai raisonnable, l’alerte peut être donnée auprès des autorités judiciaires ou administratives. Et en l’absence d’un traitement dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. "À l’avenir, le lanceur d’alerte pourra passer directement, s’il le souhaite, à un signalement externe, vers une liste d’autorités qui auront l’obligation de traiter sa demande en trois ou six mois", indique Sylvain Waserman, le député du Bas-Rhin et rapporteur de la proposition de loi débattue au Parlement.
Le texte prévoit aussi un "accompagnement financier des lanceurs d’alerte", d’après l’élu du Modem. "Ils risquent d’être ensevelis sous des tonnes de procédures lancées par des intérêts puissants, donc le juge pourra imputer les coûts d’avocat de la défense à l’attaque", précise-t-il. Une mesure nécessaire, pour Antoine Deltour, même s’il faudrait aller encore plus loin, d’après le lanceur d’alerte. "Du jour au lendemain, j’ai été placé en garde à vue, mon domicile a été perquisitionné et à ce moment, j’ai eu besoin de conseils juridiques mais je n’avais aucun interlocuteur, c’était à moi de sortir mon chéquier et de trouver un avocat compétent, témoigne celui qui est à l’origine du scandale des Luxleaks, ayant révélé les centaines d’accords fiscaux très avantageux conclus entre des multinationales et l’administration luxembourgeoise. Donc il faudrait des conseils juridiques très tôt, avant-même de lancer l’alerte." Une autre proposition de loi organique prévoit justement d’étendre la mission du Défenseur des droits pour mieux orienter ceux qui sont à l’origine des signalements.
Paradoxalement, cette meilleure protection des lanceurs d’alerte peut aussi entraîner une meilleure protection des entreprises, d’après Marc Mossé. "Ils contribuent à prévenir les mauvais comportements, qui peuvent avoir un coût financier et médiatique pour une société", explique le président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE). Les plus grandes structures ont déjà dû améliorer leur canal interne de signalement, depuis la loi Sapin II. Mais les petites "vont sans doute recruter des juristes pour avoir cette culture de l’alerte, des procédures", estime Marc Mossé. "Cette construction d’un canal interne de confiance suppose que les lanceurs d’alerte puissent s’adresser à des personnes qui les assureront d’une pleine confidentialité", souligne-t-il, en réclamant notamment la confidentialité des avis et des consultations des juristes d’entreprise.
La Maison des lanceurs d’alerte, de son côté, demande d’autres mesures, notamment la "protection, a priori, des lanceurs d’alerte par un statut calqué sur celui des salariés protégés", indique Juliette Alibert, avocate au sein de l’association. Elle souhaiterait également une meilleure protection des personnes morales, comme les organisations ou les associations, qui peuvent être "des relais des lanceurs d’alerte".
Mais sur ce point, Sylvain Waserman veut trouver une ligne de crête : "Mon texte a d’abord pour but de protéger des femmes et hommes qui ont le courage de révéler des atteintes à l’intérêt général, affirme le député du Bas-Rhin. Malgré tout, la proposition de loi reconnaît le rôle de facilitateur, c’est-à-dire qu’une personne morale pourra bénéficier d’une protection étendue en aidant un lanceur d’alerte." Autant de dispositions qui devraient tout de même "rassurer certains lanceurs d’alerte potentiels", reconnaît Antoine Deltour, même si "la protection juridique sera certainement encore parfois imparfaite dans sa mise en œuvre pratique".
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