La première session de la cour criminelle de la Manche a eu lieu du 3 au 7 avril 2023 à Coutances. Cette nouvelle juridiction sans jury populaire est contestée par une grande partie des professionnels de la justice. Entretien avec Marc Hédrich, président des cours criminelles de la Manche et de l’Orne.
Le temps de l’expérimentation est terminé. Depuis le 1er janvier, les cours criminelles départementales sont généralisées. A Coutances, la première session a eu lieu la semaine dernière. Dans l’Orne, la cour siègera pour la première fois en juin. « Il est un peu tôt pour faire le bilan. On essaye de conserver le caractère solennel de ces procès, afin de garder un traitement judiciaire exceptionnel par rapport aux crimes qui nous sont soumis », estime Marc Hédrich, président des cours criminelles de la Manche et de l’Orne. Créée par la loi de 2019, cette nouvelle juridiction juge des crimes qui encourent jusqu’à 20 ans de prison, ce qui concerne en majorité des viols. Désormais, ces affaires ne sont plus jugées par une cour d’assises avec des jurés populaires mais avec cinq juges professionnels.
La cour d'assises est une convention citoyenne qui a 200 ans
L’objectif de cette réforme était de diminuer les délais de traitement. S'il trouve inadmissible les échéances que doivent subir les victimes et les accusés avant d’avoir un procès, Marc Hédrich ne pense pas que la création de ces cours départementales était la meilleure solution. « Je considère que les cours d’assises, qui associent les jurés populaires aux juges professionnels pour les affaires les plus graves, représentent un acquis démocratique. Je trouve dommage de les limiter à cette époque où l’on parle de crise démocratique. La cour d’assises est une convention citoyenne qui a 200 ans et qui marche plutôt bien. C’est une école de citoyenneté. » Le magistrat a pu constater que les jurés arrivaient avec de l'appréhension mais repartaient très intéressés avec un autre regard sur la justice. « On les forme, ils visitent une maison d’arrêt, ils apprennent à juger » . Cette formation citoyenne sera désormais limitée puisque dans la Manche, il n'y aura plus que deux sessions de cour d'assises par an contre quatre auparavant.
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Autre particularité de la cour criminelle, elle nécessite cinq magistrats contre trois dans les cours d’assises, ce qui n’est pas sans poser de problème pour recruter. « Pour des petites juridictions qui ont entre dix et 15 magistrats comme à Coutances, je vais en requérir quatre pendant une semaine pour siéger à mes côtés. C’est très compliqué à gérer. Alors que pour la cour d’assises la ressource est infinie, c’est la population française inscrite sur les listes électorales. »
L’un des objectifs de cette réforme était aussi de limiter la correctionnalisation des viols. En effet, avec l’accord du plaignant, il arrivait que des faits de viol soient définis comme des agressions sexuelles pour relever du tribunal correctionnel qui pouvait les juger plus rapidement. « Après trois ans d’expérimentation, nous ne savons pas si sur ce point-là le bilan est positif. On aurait pour moi dû mettre plus de moyens, recruter davantage de magistrats et de greffiers. »
Je ne suis pas favorable à une « fast » justice
Le principe de l’oralité des débats est très important dans les cours d’assises car les jurés n’ont pas accès au dossier et vont devoir juger grâce aux témoins, experts et enquêteurs qui seront entendus lors du procès. Dans une cour criminelle, les juges ont accès au dossier, d'où la tendance à limiter le nombre de témoins et d’experts pour juger plus rapidement. « On juge plus rapidement avec des juges professionnels. Petit à petit, le risque est de juger en un jour ce qu’on jugeait auparavant en deux jours. Je ne suis pas favorable à une « fast » justice au regard des lourdes peines encourues, il faut laisser du temps judiciaire, notamment pour la défense. »
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