Ce n'est pas un scoop : le Cher est fortement touché par la désertification médicale, et manque notamment de médecins généralistes. Entre reprise du Covid et faible densité médicale, les professionnels de santé sont épuisés, et les conséquences sont graves. Un docteur berrichon tire la sonnette d'alarme.
C'est une nouvelle dont on se serait bien passé en ce début d'été. Le Covid est de retour... Une nouvelle fois. Une 7e vague qui touche tout le pays, et également le Berry. Selon les derniers chiffres de l'Agence Régionale de Santé, le taux d'incidence de l'épidémie a presque doublé en une semaine dans le Cher. Une situation alarmante, alors que le département connaît une forte désertification médicale, avec des professionnels de santé sur les rotules, notamment du côté des médecins généralistes, dont le nombre ne cesse de baisser depuis plusieurs années.
Lorsque nous avons contacté pour la première fois Olivier Ferrand, il était alors président du syndicat des Médecins Généralistes du Cher. Nous étions en janvier, et le docteur s'excusait par mail de ne pas avoir le temps de répondre à notre demande d'interview sur la situation médicale du Cher, à cause d'un emploi du temps surchargé. « Je suis obligé de lire mes mails professionnels le dimanche ! » se justifiait le médecin. Un peu de patience donc. Fin juin, il nous recontacte : « Votre proposition d'interview est toujours d'actualité ? ». Le Cher n'ayant pas connu d'arrivée massive de professionnels de santé entre-temps, le sujet était évidemment toujours pertinent. Direction donc Marmagne, à quelques kilomètres de Bourges, pour une rencontre dans son cabinet.
Si Olivier Ferrand n'est plus président des Médecins Généralistes du Cher, il fait toujours partie du syndicat, en tant que secrétaire. Alors, dans quel état sont les médecins berrichons aujourd'hui ? « En tant que représentant des généralistes, je constate un épuisement et un surmenage de beaucoup, beaucoup de confrères... Ce qui m'inquiète pour leur santé physique et mentale ». Covid et manque de médecins ne font clairement pas bon ménage : « On n'en peut plus de cette densité médicale catastrophique qui existe depuis une dizaine d'années. Et puis le Covid qui se rajoute dessus... On espérait avoir un peu de répit cet été, mais on voit que la 7e vague est là, bien présente, elle augmente tous les jours et rien n'est fait pour contrer cet épisode. »
On arrive dans l'inconnu, on est plus qu'au-delà de la surchauffe. Tout le monde est épuisé.
Les généralistes sont un rouage essentiel de la gestion de l'épidémie, alors que les hôpitaux sont en pleine surchauffe en ce début d'été. Les médecins du Cher vont-ils tenir ? « Je ne sais pas... » répond, un peu dépité, le docteur Ferrand. « On arrive dans l'inconnu, on est plus qu'au-delà de la surchauffe. Tout le monde est épuisé et fait le plus possible... Mais à un moment "à l'impossible, nul n'est tenu" comme on dit, dans le dicton français ». Une médecine générale malade, et c'est tout le système de santé qui se retrouve en difficulté, notamment les services d'urgences, au cœur de l'actualité en ce moment : « C'est un effet domino ! On assurait auparavant les urgences et on envoyait beaucoup moins de gens dans ces services ». Peut-être aussi un changement de mentalité chez les patients : « 60 % des personnes aux urgences ne relèvent que de la médecine générale, et pas de vraies urgences, donc ça embolise les services » rappelle le docteur.
Covid ou non, la désertification médicale a de graves conséquences pour le département : « On le constate régulièrement... Des gens qui n'ont pas de soins adéquats et qui vont décéder... On a plein de témoignages dans ce sens-là ». Constat terrible dressé par Olivier Ferrand qui cite un exemple : « Un patient d'une consœur qui n'a pas pu se faire dialyser à temps parce que l'hôpital de Bourges était en surchauffe. On lui avait dit d'aller à Orléans et le monsieur n'a pas eu le temps. Il est décédé de son insuffisance rénale massive ». Le diagnostic du médecin est sans appel, dans le Cher, le manque de médecin entraîne des morts : « Malheureusement oui. Il ne faut pas le dire, c'est tabou, il faut se taire. Ça serait vraiment dramatique si on mettait ça en avant. Aujourd'hui, on a beaucoup de perte de chance par rapport à d'autres départements. »
La désertification médicale ne touche évidemment pas que le Cher, c'est toute la région Centre-Val de Loire qui fait office de mauvaise élève, à des degrés différents en fonction des territoires. Pour faire face à cette situation difficile, l'État annonçait en février dernier l'ouverture une faculté de médecine à Orléans à la rentrée, en complément de celle de Tours. « Une décision historique » saluée par l'ensemble de la classe politique locale. « C'est de l'enfumage ! » s'insurge le docteur Ferrand qui dit vouloir « rester poli » au micro. « Tout ça, c'est pour contrer l'université médicale Croate privée, qui devait se mettre en place... Et puis 50 étudiants c'est vraiment rien ! Deux mois avant les élections présidentielles ? C'est un peu bizarre. Et puis ils vont sortir dans 10 ans... C'est vraiment une entourloupe de Jean Castex ». D'autant qu'Olivier Ferrand le rappelle, 75 % des étudiants en médecine quittent notre région à l'issue de leurs études.
Quelles solutions alors ? Le docteur Ferrand appelle à « réinventer les choses [...], il faut changer notre façon de travailler, il faut s'inspirer de ce qui se fait à l'étranger. Je pense à l'Allemagne, à la Grande-Bretagne, où l'on a un médecin qui est centralisé avec plusieurs assistantes ou infirmières qui vont d'abord travailler, examiner les patients et après le médecin arrive ». Malgré tout, Olivier Ferrand veut garder espoir : « Heureusement, parce que sinon je dévisserais ma plaque dès demain ! Il y a des projets, il faut réfléchir, il faut inventer, mais c'est très compliqué ». En bref, mieux vaut ne pas tomber malade dans le Cher.
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