Quelles sont les positions de l'Église sur les grands sujets de bioéthique? Comment les professionnels de la santé reçoivent le point de vue ecclésial sur les questions bioéthiques?
Mercredi 18 avril dernier, l'amphitéâtre Mérieux de l'Université Catholique de Lyon (UCLy), était comble. Près de 1 000 personnes sont venues assister à un débat de plus de trois heures, entre Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes et référent sur les questions de bioéthique pour la Conférence des Evêques de France, et de nombreux spécialistes de la santé, autour des questions de bioéthique. A l'initiative du diocèse de Lyon, cette soirée s'inscrivait totalement dans le cadre des Etats Généraux de la Bioéthique dont le chantier a été lancé en janvier dernier.
C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé en introduction le professeur François Chapuis, président de l'Espace éthique régional Auvergne-Rhône-Alpes. Pour ce dernier, "les évolutions sociétales vont à un rythme plus important que celui auquel nous sommes capables de les penser". 'Plusieurs demandes émanent de la société, et il convient d’y réfléchir" a-t-il indiqué en guise d'introduction, pour planter le décor.
Le professeur Chapuis a également indiqué que "l’objectif est de recueillir des points de vue, l’argumentation qui permet d’éclairer le citoyen et le législateur, et non pas les positions militantes". Du côté de Mgr d'Ornellas, cette soitée était l'occasion de mettre en évidence la position et la profondeur de l’Eglise dans ce débat de société, et de la confronter aux idées, aux désirs, aux craintes, du grand public et des spécialistes. Comme l'a rappelé le Père Thierry Magnin, recteur de l'UCLy, "nous cherchons un bien commun. Nous ne cherchons pas à nous prouver quelque chose".
A l'écoute de cette série d'interview, on réalise que les Français ne se sentent pas tous concernés par les Etats Généraux de la Biothique. Ils ne semblent également pas tellement au fait de la tenue de ces Etats Généraux, et des enjeux de bioéthique. Pour certains, les religions n’ont pas à se mêler de ces questions. Pour d’autres au contraire, chacun est invité à participer au débat, quelles que soient ses croyances ou ses opinions.
Au cours de cette soirée, Mgr d'Ornellas a pu longuement prendre la parole et exposer certaines des positions de l'Eglise, dans une intervention remarquée. Ce dernier a tout d'abord fait remarquer que dans le cadre des Etats Généraux de la Bioéthique et des consultations menées par le Comité Consultatatif Nationale d'Ethique (CCNE), la PMA et la fin de vie recueillaient le maximum de suffrages, alors que les autres sujets semblaient moins importants aux yeux de l'opinion publique.
Le référent en matière de questions bioéthiques pour l'Eglise de France a ensuite rappelé que l'un des éléments clés de la réflexion bioéthique, c'était la vulnérabilité. Celle de l'homme. Une vulnérabilité qui n'est pas forcément liée à une pathologie, puisqu'elle est ontologique, dans le sens où l'être humain est un être vulnérable. Pour l'archevêque de Rennes, "il y a quelque chose de beau dans la vulnérabilité. L’omniprésence de la technique nous fait croire que nous sommes faits pour tout maîtriser, face à quelque chose que l’on ne peut pas maîtriser, la vulnérabilité".
L'archevêque de Rennes a ensuite passé en revue les différents aspects de la réflexion éthique, qui se caractérise pour lui comme un face-à-face entre "technique et vulnérabilité" : la justice, la relation à autrui, le désir et la transcendance.
Après cette intervention du référent bioéthique pour la Conférence des Evêques de France, une batterie de spécialistes de la santé a pu poser des questions aux différents experts présents sur le plateau, sur plusieurs sujets : la PMA, la santé et le Big Data, la fin de vie, et la place du corps.
L'extension de la PMA pour les couples de femmes pose de grandes questions, notamment en ce qui concerne la filiation. Pour Aude Mirkovic, juriste proche des milieux catholiques, "la PMA telle qu’elle est envisagée, a pour résultat d’effacer le père et la lignée paternelle. La vie suscite le cas d’enfants qui sont coupés de l’homme qui les a engendrés, et la société veut organiser cet état de fait".
Pour Damien Sanlaville, généticien, "jusqu’à présent, en médecine, il faut un gamète homme et un gamète femme pour concevoir un embryon, ainsi qu’un utérus. Il existe aujourd’hui des utérus artificiels. La technique évolue rapidement et va remettre en cause la vision que l’on a de la filiation". Pour Mgr Pierre d’Ornellas enfin, abordant la question du désir d'un enfant, "le désir se transmet en droit pour masquer une souffrance. Le désir doit assumer la souffrance de ne pas pouvoir être assouvi, car il y a une autre forme de fécondité".
Le Big Data en médecine se traduit par une irruption de la technologie, des données et de l’intelligence artificielle dans la relation médecin-malade. Pour Damien Sanlaville, il existe un "lien entre l’utilisation des données de santé, et l’accélération de la technologie". "Le problème, c’est l’interprétation des données, et ce qu’on va en faire. Il y a un intérêt pour améliorer les traitements, dans les cas de cancer et de maladies rares par exemple. Le Big data est nécessaire pour faire avancer la science. A force d’accumuler les données, on va pouvoir accompagner la science. Mais la limite sera difficile à trouver entre la protection des données personnelles, et l’avancée de la science dans l’intérêt des patients" ajoute le généticien.
Vincent Desportes, médecin spécialisé dans le traitement des pathologies pour les enfants handicapés, exprime quant à lui un vrai souhait vis-à-vis de l'utilisation des données en médecine. "J'ai hâte que le robot m’aide à avoir cette avancée plus rapide, notamment en matière de diagnostic, afin d’éviter des procédés parfois invasifs dans le but de savoir de quoi souffre un patient. L’intelligence artificielle ne va pas se substituer au médecin" explique le praticien. Des propos nuancés par Mgr d'Ornellas, qui s'interroge: "quelle est l’éthique de l’intelligence artificielle ? Nous en sommes aux balbutiements de cette question".
Sur le sujet de la fin de vie, des soins palliatifs et de l'euthanasie, l'archevêque de Rennes a tout d'abord voulu saluer le "rôle incroyablement positif des médecins pour accompagner les familles des personnes en fin de vie". Pour Mgr d'Ornellas, la médecine a un rôle capital dans ce domaine. Tous les experts ont néanmoins convenu du trop faible développement de l'offre de soins palliatifs en France.
Concernant l'euthanasie, Aude Mirkovic rappelle qu'"à partir du moment où une personne sollicite la société pour demander une prestation [en l'occurence l'euthanasie NDLR], elle n’est plus la seule concernée. La responsabilité de la société est de prendre en considération les conséquences sur autrui, et pour le bien commun".
Sur cet enjeu majeur des questions de bioéthique, Aude Mirkovic a tenu à rappeler la place importante de l'écologie intégrale. "Cette préoccupation que l’on a pour la nature, on l’a moins quand on évoque la nature humaine. Le souci de l’écologie intégrale peut nous servir de guide pour percevoir les limites et voir la beauté de notre nature humaine" a expliqué la juriste.
L'archevêque de Rennes a lui-aussi souligné l'importance du corps. "L’incarnation charnelle est fondamentale. Le corps est le seul moyen que nous ayons de toucher la personne, d’avoir un accès au savoir. Le corps est une médiation sublime qui nous est donnée comme un don, et non pas comme une gêne" a notamment précisé le référent pour les questions bioéthiques à la CEF.
Mgr d'Ornellas a également expliqué que "l’Eglise rappelle l’importance de la loi naturelle. La loi naturelle est l’oeuvre de la raison humaine, elle n’est pas un donné de la nature. C’est le génie de la raison humaine qui doit faire en sorte que la loi naturelle soit en adéquation avec la loi divine".
C'est Mgr Hervé Barbarin, archevêque de Lyon, qui a conclu cette soirée. Il a notamment tenu à rappeler la grande "humilité des savants". Il a également indiqué que l'Eglise devait "accepter que les médecins puissent commettre des transgressions, et leur dire quelle transgression on comprend, et quelle transgression on ne comprend pas". Tout en soulignant que le défi bioéthique est grand, l'archevêque de Lyon a conclu en affirmant: "merci Seigneur pour les progrès !"
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