Nous en venons tous à nous demander à quoi ressemblera la société "déconfinée" ? J’aimerais tant qu’on puisse encore se serrer les mains, s’enlacer ou simplement se dévisager. Mais est-ce rêver ? On commence à comprendre que l’immunité des contaminés guéris n’a rien de garanti. Devrons-nous durablement nous protéger les uns des autres ? Considérer la moindre rencontre comme risquée ? Allons-nous être forcés de dresser entre tous, des écrans de protection pour tous types de relations ?
La triste injonction "sortez couverts" ne serait plus réservée au vagabondage sexuel. La société qui prohibait en public les visages voilés, imposerait le port d’un masque ! Imaginer devoir se priver de l’expressivité magnifique des visages : quel crève-cœur ! Si on ne le compense pas par un surcroît d’empathie, le geste barrière nuit à la relation. On pourra bien se regarder dans les yeux, sans la bouche, les émotions communiquées sont appauvries. Pour Emmanuel Levinas, "le visage est ce qui interdit de tuer".
Et faudra-t-il faire le deuil des gestes de tendresse entre amis ? Renoncer à toucher les souffrants, les personnes en fin de vie ou endeuillées ? Aseptiser encore nos relations ? Escamoter davantage les rites de deuil ? Je vois deux sources de consolation. D’abord la caresse de la voix : il n’est pas nécessaire de voir le visage de Stéphanie [Stéphanie Gallet, aux commandes de la Matinale RCF, ndlr] pour apprécier son humanité. Les ondes offrent même un supplément d’âme en nous concentrant sur la vibration d’une voix, sur sa moindre intonation. Les personnes aveugles perçoivent d’ailleurs ce que les voyants n’entendent plus. Mon professeur de mathématiques de terminale était malvoyant ; il sentait l’ambiance de sa classe à l’oreille, même s’il peinait à tout saisir… Alors, échangeons de précieuses paroles !
Ensuite - et surtout - je crois en l’inventivité de l’amour. L’amour "ne connaît pas de loi". Deux exemples le confirment, à propos des résidents confinés en Ehpad. Pour permettre à une personne de revoir sa mère en toute fin de vie, des soignants, sans attendre la récente autorisation présidentielle, n’ont rien trouvé de mieux que de faire entrer le visiteur… par la fenêtre ! L’adieu si précieux a pu avoir lieu, sans risquer de contaminer quiconque. La personne âgée a pu mourir paisiblement, dans les heures qui ont suivi. Pour des résidents décédés, des médecins ont carrément falsifié les formulaires de décès, pour laisser le temps à des proches de revoir une dernière fois le visage du défunt.
Rebelle à toute norme déshumanisante, la tendresse ne mourra jamais.
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