C’est la hausse des taxes sur le carburant qui avait mis le feu aux poudres. Une énorme colère contre la baisse du pouvoir d’achat. De nombreux universitaires ont cherché à comprendre ce mouvement social inédit.
C’est le cas du Pacte, le laboratoire de sciences sociales du CNRS, de Sciences Po Grenoble et de l'Université Grenoble Alpes. Lors d’une grande enquête, plusieurs chercheurs ont rencontré 6500 gilets jaunes et ont ainsi établi le profil sociologique des manifestants. Issus des classes populaire et moyenne, ils vivent en milieu rural et en zone périurbaine. Peu diplômés, ce sont des actifs qui souffrent de la précarité. "On a affaire à des gens qui ont une faible reconnaissance sociale par rapport au fait qu'ils travaillent et qu'ils sont pas des gens qui vivent d'allocations sociales. Le fait que, dans leur expérience, à un moment donné ils rencontrent un divorce, ce genre de chose, va amener les gens à basculer dans la contestation", explique Tristan Guerra, qui a travaillé sur cette étude.
Petit à petit, au fil des mois, le mouvement s’étiole, rassemblant de moins en moins de personnes, notamment en raison des violences rencontrées lors des manifestations. Mais il a ouvert une porte, notamment pour le pouvoir en place. "Ça a été un premier coup sur la conception de la société et le pouvoir", assure le sociologue Michel Wieviorka, pour qui l’exécutif a découvert de manière visible ce que vivaient les Français et qui s'est rendu compte qu’il ne pouvait plus gouverner de manière verticale.
Beaucoup de gilets jaunes disent qu’ils n’ont rien obtenu de leurs revendications. Aujourd’hui, beaucoup n’envisagent pas de retourner sur les ronds-points. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont arrêté d’agir. Leur mobilisation a pu prendre une autre forme. C’est le cas de Cendrine Woillet, gilet jaune de la première heure dans le Nord. Rapidement la tournure politique que prend le mouvement ne lui plait. Elle décide alors de créer avec d’autres gilets jaunes l’association 2A2C, "Artois actions collectives citoyennes" qui défend la justice fiscale et le pouvoir d’achat. "C'était quelque chose qui pouvait être concret et durable dans le temps. Mais les trois quarts du temps, on nous a insulté donc on s'est dit qu'en fondant notre association on aurait plus de personnes qui nous soutiendraient", affirme-t-elle.
Tel qu’on l’a connu, le mouvement des gilets jaunes ne peut a priori pas se relancer. Et de l’aveu même de certains gilets jaunes ou d’anciens gilets jaunes. En revanche, le contexte actuel, et notamment la crise sanitaire, pourrait déclencher d’autres mouvements. "Vous aviez dans ce mouvement des gens qui disaient 'attention on a faim' et là ça empire. Ça va s'accentuer. Tout le monde va ressortir, pas seulement les gilets jaunes", estime Céline Chatelard, gilet jaune à Fréjus, dans le Var.
Malgré la colère que l’on peut entendre du côté des petits commerçants, le sociologue Michel Wieviorka nuance. Selon lui, les raisons de cette colère et le contexte ne sont pas les mêmes que pour les gilets jaunes. "On a affaire à des populations très différentes. Le mouvement des petits commerçants repose sur des attentes différentes. Il veut sauver sa peau. Il y a le sentiment d'une profonde injustice mais c'est un monde qui a une grande capacité de négociation contrairement aux gilets jaunes", explique-t-il.
Et le sociologue Jean Viard complète : les gilets jaunes avaient l’impression que leur modèle de vie était remis en cause. Or, avec l’arrivée de la pandémie et les confinements successifs, leur modèle de vie devient celui rêvé des citadins. "Le modèle de la ville vélo envahit les médias depuis des années. Ils ont oublié que 70% des gens vont au travail en voiture et qu'ils n'ont pas le choix", analyse de Jean Viard.
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